La bonne guerre
gigantesque boule de feu. Là
où les obus tombaient, l’eau formait d’énormes geysers, il y avait des corps
qui flottaient, le visage dans l’eau ou tourné vers le ciel.
La péniche de débarquement, après que nous l’eûmes quittée, devait
devenir un navire-hôpital. Les gars qui avaient débarqué les premiers et
avaient été blessés étaient dégagés. J’ai continué mon apprentissage en prenant
conscience des limites du corps humain. Je me souviens d’un petit jeune qui
était si gravement blessé qu’il en était gris, comme un morceau de flanelle. Je
le croyais mort. Ils lui ont fait une transfusion, et ses couleurs sont
revenues. Quel soulagement quand j’ai vu que ce gosse s’en tirerait. Pas moyen
de me souvenir s’il était allemand ou allié. Ça n’avait aucune importance. Intéressant,
non ?
Et notre tour est venu de monter sur la barge. Nous étions
avec un jeune officier de marine qui me semblait bien incapable de nous mener
jusqu’à la plage. Je savais bel et bien que si on débarquait le 155 trop loin, avec
la mer qu’il y avait, on était sûrs de se foutre à l’eau. On aurait toujours pu
nager jusqu’au rivage, mais avec tous les trucs qu’on avait sur nous, on n’y
serait jamais arrivés. J’ai donc fini par le menacer de mon fusil. Je le lui ai
fourré dans la bouche. Incroyable, non ? En fait, il voulait à tout prix
nous débarquer le plus vite possible. Tout à fait le genre du personnage qui
joue avec les billes d’acier dans Ouragan sur le Caine. Il voulait
carrément nous passer par-dessus bord. Allez, on n’est pas loin. Finalement il
nous a amenés jusqu’à ce qu’on ait un mètre d’eau de profondeur, et nous a dit :
« Je ne peux pas approcher davantage. » Très bien, descendons la
rampe.
Ce 155 autotracté n’est rien d’autre qu’un petit char. Au
lieu d’une tourelle, il a un 155 howitzer sur le dessus. Il n’y a pas de
volant. Qu’une espèce de manche à balai sur lequel on tire pour aller à droite.
Et un autre pour aller à gauche. Pour s’arrêter, on tire les deux. Je ne sais
pas comment on s’y est pris, mais on s’est embrouillés dans nos signaux. Le
caporal Rackley conduisait en me regardant. J’ai levé la main. Il a cru que je
lui faisais signe de s’arrêter. C’est comme ça que j’ai débarqué sur les plages
de Normandie de façon peu glorieuse. J’ai été projeté en l’air et j’ai atterri
sur le dos. La seule chose que je voyais, c’était ce tank dont je venais d’être
éjecté. Il ne parvenait pas à s’arrêter sur le sable. Les gars se sont
longtemps moqués de moi en me disant qu’ils ne m’avaient jamais vu courir aussi
vite. (Il rit.) J’ai réussi de justesse à lui échapper. Il m’aurait
écrasé. J’ai toujours été persuadé que ce genre de spectacle clownesque a dû
complètement effrayer les Allemands. (Il rit.)
J’ai regardé autour de moi, et j’ai vu que la marée montait
à une vitesse impressionnante. On allait se faire coincer. J’ai dit à Rackley d’accélérer.
On a réussi à rejoindre une zone recouverte d’à peine trente centimètres d’eau.
On l’a suivie, et comme ça on est parvenus à sortir de la plage.
Mon boulot consistait en partie à rester debout à côté du
chauffeur parce que nous avions une mitrailleuse de 50 installée en haut de
notre engin et que je devais me tenir prêt à l’utiliser si nécessaire. On s’est
retournés, et derrière nous il y avait les Allemands. Derrière eux les Américains,
toujours du côté de la mer. De sorte que je pouvais tirer sur les Allemands
par-derrière.
Nous n’étions pas les seuls à avoir suivi ce chemin. Il y
avait aussi une équipe de DCA. Un truc complètement dingue. Vous ne pouvez pas
imaginer le vacarme qu’il y avait, toutes les bombes qui explosaient, les
blessés, les morts et au milieu de tout ça, ces gars-là, assis à fumer leur cigarette
et à lire des bandes dessinées. Je n’en croyais pas mes yeux. Nous nous sommes
arrêtés à une centaine de mètres d’eux et je les voyais très bien.
D’un seul coup, waoum, ils étaient en pleine action. J’ai
levé la tête, pas besoin de dire quoi que ce soit. On a tous sauté de notre
engin, et rampé dessous, parce que trois avions allemands nous fonçaient dessus.
Les gars de la DCA ne se cachaient pas. Nous, si. Heureusement d’ailleurs. Les
Allemands ont fait sauter notre engin avec les mitrailleuses de 50. Et les gars
de la DCA ont
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