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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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Il a vu une ombre et il a tiré.
    Je me suis précipité, et j’ai rattrapé Ed au moment où il
tombait. Il est mort dans mes bras. Appelez ça comme vous voulez, un acte fou, irraisonné,
mais j’ai chargé Ed dans une jeep, je voulais être sûr qu’on s’occuperait de
lui comme il fallait. Alors je suis allé au quartier général de notre bataillon,
et on m’a envoyé auprès de cet ivrogne de colonel. Il est sorti et m’a dit :
« Virez-moi ce tas de viande pourrie. » Vous ne pouvez pas savoir ce
que j’ai éprouvé. Ça m’a longtemps obsédé, je ne pouvais pas me sortir ça de la
tête. Ç’a été une expérience très très dure, même encore maintenant quand j’y
repense.
    Ça, c’était le cinquième jour.
    À un moment donné, j’ai été assigné au poste d’éclaireur
pour tout le bataillon. Vivre et travailler avec l’infanterie, c’est ce que j’ai
fait pendant presque toute ma carrière de combattant. Un matin de décembre, il
faisait très froid et il neigeait. Vers deux heures du matin, nous étions en
route vers la vallée de l’Aare que nous devions traverser. C’était de la glace,
de l’eau, et encore de la glace. La rive opposée était une grande pente
couverte de neige. Nous savions que les Allemands étaient là et que ça ne se
passerait pas tout seul. Il fallait que nous traversions. Nous avions des
canots pneumatiques, nous pouvions ramer sans faire de bruit jusqu’à l’autre
rive. Tout cela était parfait. Mais c’était faire abstraction de la nature
humaine. Un de nos gars était tombé sur une bouteille de calvados. Il est
descendu à la rivière en chantant à tue-tête : Allez, les gars de la
marine. Le ciel s’est embrasé, et les obus de mortier nous tombaient dessus. C’était
terrible. On aurait dit que ça avait duré des heures. En fait ça n’avait duré
que quelques minutes. Ona réussi à traverser. Mais avec
de lourdes pertes.
    Le jour commençait à peine à se lever. De chaque côté de
cette petite route de campagne il y avait une rangée de maisons. Nous devions
fouiller chaque maison pour voir si des soldats allemands ne s’y cachaient pas.
Nous avons atteint la dernière. En entrant, nous avions le pressentiment qu’il
y avait quelqu’un. Nous en avions déjà trouvé, et ils s’étaient rendus sans
difficulté, aucun problème. Mais ce coup-là – j’avais l’estomac noué. J’ai
fouillé la maison. Je savais qu’il fallait que j’aille au sous-sol. Il y ferait
noir. Pas de torche, rien. S’il me voyait en premier, il me descendait.
    Je suis allé à la cave. Elle avait des fenêtres. Le jour
commençait à pointer. J’ai aperçu deux formes pelotonnées l’une contre l’autre
dans un coin. C’était un paysan français et sa femme. Il pressait un coq contre
sa poitrine. Elle tenait une poule, j’ai dit : « C’est bon. »
Ils ont eu l’air de comprendre. La dernière chose dont je me souvienne, c’est
qu’ils marchaient tous les deux sur la route en serrant leur précieux trésor.
    Comme j’étais éclaireur, si je voulais faire venir une division
entière, en code il suffisait que je demande une chansonnette. Si je voulais
plein d’artillerie, je demandais une sérénade.
    Du sommet d’une pente abrupte, j’observais une très étroite
vallée, juste assez large pour permettre le passage d’une route menant à un
petit carré de forêt bien dense. Toute la journée, j’ai vu passer des chars
allemands et des véhicules. En nombre incalculable. J’ai demandé une sérénade, le
gros truc. La moitié en bombes au phosphore, que je détestais et que je déteste
toujours. Et la moitié en bombes à fragmentation. Elles s’élèvent très haut et
explosent en l’air. Une pluie d’éclats retombe. C’est terriblement meurtrier. Si
vous êtes touché par du phosphore enflammé, il est impossible de l’éteindre. Je
ne sais plus combien de salves je leur avais demandé de tirer. Ce petit bout de
terrain a été entièrement dévasté. La précision de tir de ces types était
incroyable. C’est un de mes mauvais souvenirs, la souffrance.
    Un ou deux jours plus tard, j’étais dans mon trou d’homme, séparé
du reste de la compagnie. La neige avait fondu, si bien que j’étais dans cinq, six
centimètres d’eau. La nuit est tombée, et il a commencé à geler. J’avais les
pieds comme de la glace, et il fallait que je sorte pour marcher. À trois
mètres de là, à peine, se trouvait un lieutenant

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