La bonne guerre
tous ces GI classés
automutilés, à attendre comme ça leur procès pendant des mois.
Patton voulait toujours qu’on lui montre les automutilés. Ce
jour-là il y avait un prétendu automutilé dans son lit. À côté de lui il y
avait un jeune homme. On lui avait dit que cet autre jeune homme avait été
blessé par l’ennemi. Il avait donc le prétendu automutilé à côté de lui. Patton
s’est approché de la table de nuit du premier et a commencé à lui passer un
sacré savon. Il lui a dit que la pendaison, l’éviscération et l’écartèlement
étaient encore trop bons pour lui. Qu’on devrait lui arracher les ongles. Ce
que je vous dis, je l’ai entendu de mes propres oreilles. Cet automutilé, ce
traître, cette chose ne devait pas se dire Américain. Alors qu’à côté de lui se
trouvait un véritable héros américain qu’il allait personnellement recommander
pour la Silver Star.
Après son départ, je suis allée trouver ce héros américain ;
il ne voulait pas me parler. Je n’arrêtais pas de lui répéter : « Je
ne voudrais pas insister, mais si vous voulez faire savoir à votre mère, à
votre sœur ou à quelqu’un d’autre que vous allez bien, je serai ravie de leur
écrire. Il vous suffit de me le demander. » Finalement, après plusieurs
tentatives, il m’a dit : « Vous ne devriez pas me parler. Si vous
saviez ce qui s’est passé vous ne voudriez plus me parler.
« Le général Patton était là il y a peu de temps, et il
a dit que j’étais un héros. Qu’il va me recommander pour la Silver Star. Je n’ai
même pas eu le courage du gars d’à côté, si c’est vraiment lui qui s’est blessé
volontairement. Moi je voulais le faire. J’avais tellement peur que je suis
resté planté là. Je ne savais pas quoi faire d’autre. Je suis resté là à
attendre, c’est comme ça que je me suis fait blesser. Je n’ai même pas eu le
courage de me tirer dans l’orteil. »
J’ai rencontré des jeunes hommes qui avaient croisé la mort
plusieurs fois. L’un d’eux avait participé à trois opérations aéroportées. On l’avait
amené là pour se reposer pendant vingt-quatre heures avant de repartir au
combat. Il suait à grosses gouttes. Il n’arrêtait pas de s’essuyer et de se
ressuyer les lèvres. Je lui ai demandé ce qui n’allait pas. Ce jeune héros s’était
trouvé trois fois au combat, et il était paralysé par la peur. Il disait :
« Je ne sais plus quoi faire tellement j’ai peur. Qu’est-ce qu’il m’arrive ?
Est-ce que je suis un lâche ? »
Il y en avait tellement qui avaient peur qu’on les prenne
pour des lâches. Il y en a qui sont restés dans des tranchées pendant treize
jours et treize nuits. Ils n’avaient pas pu ôter leurs rangers. Ils avaient les
pieds gelés, tout le truc. Et ils avaient encore peur qu’on les traitât de
lâches.
J’étais dans un hôpital général à Verdun. On voyait encore
beaucoup de traces des destructions de la première guerre mondiale. Nous avions
environ deux mille patients, dont un tiers de prétendus automutilés. Il y avait
notamment un garçon dont la jambe droite était en très mauvais état. Il
attendait de passer en cour martiale. Ils ne savaient pas s’ils allaient l’amputer
ou lui laisser une chance. Je lui ai préparé un programme de rééducation de
façon à l’occuper. Il était marié et avait un enfant. Sa femme était partie
avec un autre, et il essayait de faire obtenir la garde de son enfant par ses
parents. Il attendait donc trois choses : la cour martiale, une éventuelle
amputation, et la décision du tribunal. Pendant quatre mois je suis allée le
voir tous les jours.
Tout s’est finalement bien terminé. Il a obtenu que ses
parents gardent son enfant. Sa jambe a pu être sauvée. Et il a été relaxé en
cour martiale. Il a pu être prouvé que son arme était défectueuse. La dernière
fois que je l’ai vu c’était au cours d’une soirée dansante que j’avais
organisée. Il est venu vers moi avec une béquille, il boitait beaucoup, et il m’a
dit : « Hé, Croix-Rouge, tu veux bien danser avec moi ? »
Nous sommes allés sur la piste et avons fait ce que nous avons pu.
Je ne respectais jamais les règlements. Je n’allais jamais
manger au mess des officiers. Je mangeais toujours avec les GI. Personne ne
pouvait m’envoyer en cour martiale, moi. Je n’étais pas officier de l’armée.
Quand j’allais en visite dans les salles, je ne
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