La bonne guerre
jeune Belge de seize ans à peu près qui
faisait du stop. Il était en piteux état, plein de sang. C’était un travailleur
forcé qui voulait retourner en Belgique. On l’a emmené avec nous.
Apercevoir la tour Eiffel dans le lointain est un spectacle
que je n’oublierai jamais. Ça fait quelque chose de la voir en pleine nuit, à
la lumière de la lune. Surtout quand vous n’avez jamais vu Paris avant. Nous
sommes entrés dans la ville, guidés par la tour Eiffel. Nous avons été parmi
les premiers Américains à entrer dans Paris. Nous étions rattachés à la 3 e armée de Patton, mais ne vivions pas avec eux. J’allais frapper aux portes des
maisons pour demander : « Je cherche où passer la nuit. » L’avantage
pour la famille de fermiers qui m’hébergeait, c’était que j’avais accès aux
rations de l’armée. Je conduisais la jeep jusqu’au dépôt militaire, je la
remplissais de nourriture, et je rapportais ça à la famille. J’étais toujours
accueilli à bras ouverts, car la nourriture était très rationnée. Nous étions
toujours logés chez des civils. Ce qui me donnait l’occasion de pratiquer le
français que j’avais appris au lycée.
Nous sommes arrivés à Munich avec Patton. Sur une place, il
y avait des échanges de tirs entre SS et Américains. On se serait cru dans un
western, seulement c’était vrai. Il s’agissait de la 42 e division. Les
Américains étaient sérieusement accrochés. Mais les combats les avaient
endurcis, ils avaient perdu beaucoup de copains, et il ne fallait pas rigoler
avec eux. Les Allemands se sont finalement rendus.
J’étais dans le fond d’une cour, assis sur un grand banc
appuyé au mur. On aurait dit un décor de théâtre. Ils ont fait mettre les
Allemands le long du mur. J’étais assis avec une caméra Eimo à focale fixe à l’épaule.
Il y avait environ trois ou quatre Américains avec des pistolets-mitrailleurs
Thomson. Ils ont tué tous les Allemands. J’ai filmé toute la séquence. Je n’étais
pas encore vraiment endurci, et je trouvais qu’ils avaient eu tort de faire ça.
Les Allemands ont été très courageux. Ils avaient compris ce qui allait se
passer, et ils n’ont pas bronché.
Je me suis dit : « Bon, alors, qu’est-ce que je
vais faire de ce film, maintenant ? Je le jette ? » Il me
contrariait. Peut-être que plus tard, après avoir vu ce qui s’était passé, il
ne m’aurait pas contrarié. Je l’ai renvoyé à l’armée qui m’a répondu la même
chose que d’habitude : ce film ne peut pas être visionné par suite de
difficultés de laboratoire. (Il rit.)
Quand vous tuez et que vous vous faites tuer, il se passe
quelque chose. Vous voyez la vie et la mort sous un autre angle. Ces types qui
vous tiraient dessus, vos meilleurs amis qui se sont fait tuer. Ces SS étaient
vraiment cyniques. Ils se comportaient comme si rien ne pouvait les atteindre. Et
en plus ils se foutaient de vous. Ils jouaient à la race supérieure. En une ou
deux occasions j’ai vraiment été sur le point d’en tuer un.
La première chose que j’ai vue sur la route de Dachau c’était
une quarantaine de fourgons à bestiaux sur une voie d’évitement. Je savais qu’à
cet endroit il y avait quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Les Allemands
ne voulaient rien dire. Ils en ont toujours nié l’existence. J’ai regardé dans
les fourgons, ils étaient remplis de corps émaciés, jusqu’en haut. Quarante
wagons, pleins de morts. Je venais d’une très bonne famille…
Juste avant, nous étions entrés dans un bâtiment pour voir s’il
n’y avait personne dedans. Je suivais les soldats de très près. J’ai entendu un
coup de feu à l’intérieur. Ils ne nous tiraient pas dessus. J’ai couru au
sous-sol. Quelqu’un venait de se suicider, un Allemand.
Nous sommes arrivés au camp, et avons défoncé les portails. Quelques
gardes allemands ont été tués pendant l’opération. Nous sommes entrés dans le
camp, dans les bunkers. C’était la panique. Quelle scène, les Américains qui
entraient, les prisonniers qui couraient dans tous les sens en pleurant, comme
des fous. C’était la libération de Dachau. J’ai filmé autant que j’ai pu. Je me
suis dit que ce film devait être exploité le plus vite possible. Je ne voulais
pas traîner. Je voulais que ce film aille tout de suite sur le front. Il fallait
que ces pellicules soient envoyées à la 163 e compagnie photo. Il
fallait que ce soit moi
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