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La bonne guerre

La bonne guerre

Titel: La bonne guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Studs Terkell
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faut ce sang. » Il fallait qu’ils apprennent qu’à
la guerre les choses étaient différentes. (Il rit.)
    Plus nous avancions vers l’est, plus nous rencontrions de
réfugiés. Les Russes poussaient d’un côté, les Américains de l’autre. La
plupart d’entre eux voulaient échapper aux Russes pour venir dans la zone
américaine. Ils ont commencé à s’entasser dans ces villes. On se serait cru un
samedi après-midi. Il y avait du monde sur toutes les places de villages. Ils
se moquaient complètement de leur destination pourvu qu’ils échappent aux
combats et sûrement aussi aux Russes. À la fin de la guerre nous avions toutes
sortes de prisonniers. Des gens de Dunkerque, de Tobrouk. Des soldats alliés
libérés des camps de prisonniers allemands.
    Je suis allé à Buchenwald, aussi. Est-ce que vous saviez que
Buchenwald était un zoo ? Sur la porte il y avait l’inscription suivante :
Jardin zoologique de Buchenwald. L’ultime humiliation. Ils ne nous ont pas
laissé entrer, mais nous avons pu regarder. L’odeur et les corps étaient encore
là. Personne ne peut donc me dire que ça n’a jamais existé. (Il rit.)
    Les Américains n’ont jamais vraiment su ce qu’était la
guerre. Peu importe ce qu’ils ont pu voir à la télévision, au cinéma ou dans
les magazines. Parce qu’il y a une donnée qu’ils n’ont jamais perçue : l’odeur.
Quand vous traversez un village, et que d’un seul coup cette horrible odeur
vous prend à la gorge. Tous les gens que vous croisez portent des masques, parce
que c’est tout simplement insupportable. Vous prêtez un peu attention, et vous
remarquez les cadavres enflés. Très peu de corps humains, parce qu’ils avaient
déjà presque tous été enlevés. Mais il reste des cadavres boursouflés de
chevaux et de vaches, et l’odeur de la mort. Peut-être que si les Américains n’avaient
connu ne serait-ce que ça, ils se préoccuperaient davantage de la paix.
    Il fallait que je participe à cette guerre. Je m’y sentais
obligé. Peut-être parce que je suis juif. Je savais à quel point c’était
horrible. Il n’y avait rien de plus affreux que de voir tous ces gosses qui
avaient la tête à moitié éclatée. La tragédie était encore plus grande. Les
réfugiés : on aurait dit que la guerre n’était faite que de réfugiés. Je
suppose que toutes les guerres sont ainsi.
    Je suis heureux d’y avoir participé. J’avais le sentiment
que le peu que je faisais c’était déjà quelque chose. Mon boulot c’était de
sauver des vies. On m’a demandé : « Comment avez-vous pu soigner des
Allemands ? Est-ce que ça ne vous ennuyait pas ? » Ma foi, j’ai
d’abord commencé à les considérer comme des Allemands et des nazis. Puis je les
ai considérés comme des victimes. Surtout vers la fin, quand j’ai vu les gosses
et les vieillards. Est-ce que je pouvais blâmer ce gosse pour ce que ses parents
ou les chefs nazis avaient fait ? C’était un sentiment terrible, très
confus. Pourquoi ne devrais-je pas soigner un gosse de seize ans criblé de
balles ?

Frieda Wolff
    Institutrice en retraite, elle a été cantatrice pendant
une très brève période. « Mon père était espagnol, c’était un professeur
remarquable. Mon oncle, un réfugié de la guerre d’Espagne, était ingénieur, il
est mort sur les plages françaises. Jusqu’à ce moment-là, j’avais été très
naïve dans tout ce qui touchait à la politique. »
    Il me semble qu’il n’y a pas eu de début à la seconde guerre
mondiale. Je suppose qu’elle a commencé en Espagne, à cause de ce qui est
arrivé à certains membres de ma famille.
    En 1939 j’enseignais dans la vallée de Sacramento. Les fils
et les filles des travailleurs migrants étaient dans la même école que les fils
et les filles de l’Association des exploitants agricoles. J’avais une classe
fantastique. J’étais très libre. C’était au moment de l’invasion de la Pologne.
Pour leur culture générale, j’essayais de les intéresser à l’histoire des pays
étrangers, à l’Amérique latine, et à l’Europe. Ils se sont tellement passionnés
que certains d’entre eux qui ne savaient pas lire ont appris en deux semaines à
cause du sujet étudié.
    En 1941 j’enseignais à Petaluma, près de la baie de San
Francisco. Ce n’était pas facile parce que les enfants venaient en classe en
disant qu’ils espéraient bien que les Russes allaient se ramasser une bonne
volée,

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