La bonne guerre
prévenais jamais.
Mais ils me guettaient toujours. Quelquefois ils faisaient semblant de dormir. Puis
l’un d’eux se mettait à rire et j’étais bombardée de boulettes en papier. C’était
dans ces moments-là que vous réalisiez combien ils étaient jeunes. De vrais
gosses.
J’étais en garnison à Bastogne en Belgique. On m’avait
demandé de mettre en place un des premiers centres de repos. J’ai veillé à ce
qu’ils aient tous des paravents entre leurs lits. Il y avait si longtemps qu’ils
n’avaient pas eu d’intimité. Ça, c’était juste avant la bataille des Ardennes. Il
y a eu une pagaille pas croyable, et on a commis de graves erreurs. Je crois
vraiment que la bataille des Ardennes n’était pas du tout nécessaire.
Ils avaient des renseignements. Ils avaient capturé des
Allemands qui avaient donné les plans. J’étais arrivée quelques jours avant la
percée ; avant même que Bastogne soit envahie. Tout le monde était au
courant de ce qui se passait. Deux jours avant la percée – c’était le 15 ou le
12 ? les Belges qui avaient accroché partout des banderoles « Bienvenue
aux Américains » les avaient toutes décrochées. La veille de la percée il
n’y avait plus un seul Belge dans les rues. L’endroit était absolument désert. Les
Belges étaient au courant bien avant le début de la bataille. Nous n’avions pas
fait ce qu’il fallait. Je sais que beaucoup de gens ont dit que le front était
bien trop long. La 8 e armée défendait un front terriblement long, ce
qui a permis aux Allemands de passer et de nous prendre en tenaille.
J’étais là le jour de la percée, puis j’ai été évacuée. Nous
nous sommes joints à un convoi d’Américains qui se repliaient. Nous avons suivi
cette route pendant des heures et des heures avec ce convoi. Il pleuvait et il
tombait de la neige fondue.
Le jour de la reddition allemande je travaillais toujours
dans cet hôpital général à Verdun. Je suis rentrée aux Etats-Unis et j’ai
voyagé à travers le pays pour le compte de la Croix-Rouge. C’était le début de
la guerre froide. Pour moi la guerre n’était pas encore terminée. Franco était
toujours au pouvoir dans le pays de mon père. Je travaillais pour les réfugiés.
Et maintenant je suis contre la guerre, voilà.
Frieda Wolff est morte le 22 mars 1984.
Walter Rosenblum
Ancien photographe de la AAA (Agricultural Adjustement
Agency), auprès du département de l’Agriculture. Une des agences du New Deal.
Pour moi, la guerre a débuté au matin du débarquement, le 6
juin 1944. J’étais photographe de guerre sur un bateau qui effectuait la
traversée de la Manche. Les Allemands étaient très bien retranchés. Leurs
casemates étaient complètement enterrées dans les dunes. Et leurs canons
étaient dirigés vers la mer.
Quand je deviens vraiment nerveux et que je veux me détendre,
je m’endors. J’ai donc fait un petit somme avant d’embarquer. Je me suis réveillé
juste à temps. Nous avons été parmi les premiers sur la plage. J’étais rattaché
à un bataillon du génie. Notre boulot consistait à dégager les pieux qui
empêchaient nos bateaux d’approcher. Nous sommes sortis sous une pluie d’obus. C’était
la première fois que je voyais des morts. Autour de moi flottaient des cadavres
d’Américains.
Une de mes premières photos a été celle d’un jeune
lieutenant qui nageait au milieu de tout ça en ramenant deux survivants. Moi, pendant
ce temps, je photographiais avec un Speed Graphie 4X5. Je ne suis pas courageux.
J’essaie toujours d’éviter les combats. Je fuis les disputes. Mais quand il se
passe quelque chose comme ça, je suis très calme et détendu. Quand j’en arrive
là, il semble que ma tension nerveuse disparaisse. Je photographiais ce que je
voyais. C’était mon boulot.
Le lieutenant responsable de notre unité a sauté dans une
casemate, et on ne l’a plus revu pendant trois jours. Il avait tellement peur
qu’il s’était caché. Nous, nous avons continué. J’étais avec un opérateur de
cinéma qui s’appelait Val Pope, un type vraiment très chouette. C’était
effrayant, parce que cet après-midi-là les Allemands avaient bombardé les
plages à outrance.
Les photographes étaient très privilégiés. Nous avions un
laissez-passer signé du général Eisenhower nous permettant d’aller partout où
nous le souhaitions, et de faire tout ce que nous voulions. Si un MP nous
disait : « Vous ne
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