La bonne guerre
qui le fasse. Je ne voulais pas le confier à un
messager.
J’ai trouvé un Piper Cub pas très loin. Le pilote m’a dit qu’il
pouvait m’emmener. Nous sommes partis dans ce petit avion, et il s’est mis à
faire de l’orage et le ciel s’est assombri. Avant que l’orage éclate, nous
avons survolé Munich, c’était une vision bouleversante. Quand on survolait un
immeuble, on voyait qu’il ne restait plus rien à l’intérieur. Tout s’était
écroulé. C’était du surréalisme. Nous avons finalement atterri sans encombre, et
j’ai déposé mon film, mais c’était effrayant le vent et la pluie dans ce petit
avion.
J’ai rejoint mon unité. C’est alors que j’ai vu les fours
crématoires. Et les cadavres. Les survivants s’accrochaient à vous, à votre
uniforme. On ne pouvait vraiment pas faire grand-chose pour eux à ce moment
précis. Nous avions un petit peu de nourriture, quelques rations C.
Ça peut paraître bizarre, mais il m’est arrivé des petites
choses qui m’ont rendu optimiste. Le photographe qui était avec moi passait la
nuit dans une petite ville. Il m’a dit : « Allez, on s’en va. »
Je lui ai dit : « Non, on est en sécurité ici. » Je n’avais pas
réalisé que l’armée américaine était partie et qu’il ne restait plus que moi. D’un
seul coup ça m’est venu. Mon Dieu, les Allemands pourraient revenir. Car tout
était tellement flou. Ce type a fait tout le trajet en sens inverse dans une
jeep, pour venir me rechercher, et il m’a tiré dans la voiture. Nous n’étions
pas spécialement amis. C’est exactement le genre d’acte d’héroïsme individuel
que je trouve tout à fait extraordinaire.
Alors que nous étions en reconnaissance un peu plus loin, j’ai
vu un civil allemand sortir du fossé et s’approcher de notre petit groupe. Il
nous a dit qu’il était antifasciste et qu’il voulait que je passe par-derrière
avec lui. Il disait qu’on pourrait obliger les soldats allemands à se rendre
parce qu’on les prendrait par-derrière. C’est ainsi qu’avec deux autres
compagnons nous l’avons suivi pour voir s’il disait bien la vérité.
En Allemagne il existait des groupes antifascistes. On
prenait une petite ville, le maire et les personnalités importantes étaient
arrêtés, et nous laissions l’administration de la ville à la charge des
antifascistes. Quand on repassait dans la ville trois jours plus tard, les
autorités américaines avaient libéré tous les officiels, et leur avaient rendu
leurs postes. Et les autres étaient mis à l’écart. Ça se passait invariablement
ainsi. Vous comprenez, une fois qu’une ville était conquise, un gouvernement
militaire d’occupation était mis en place.
Donc, nous suivions ce type sur la route – qui sait, nous
allions peut-être nous faire tuer ? Un autre Allemand sort des bois et
nous dit : « Nous sommes un groupe à vouloir nous rendre. Vous pouvez
venir ? » J’ai dit aux autres : « Attendez ici, je vais
voir. » Ça pouvait être un piège. Je suis très crédule. Je crois ce que
les gens me racontent. J’y suis donc allé, et effectivement, il y avait à peu
près deux cents Allemands. Nous avons discuté, parlementé. Il y en avait qui ne
voulaient pas se rendre. D’autres qui voulaient. « Votre cause est sans
espoir, allez, partons. » J’étais le seul Américain. J’avais quelques
notions d’allemand et je connaissais un peu le yiddish. J’étais entouré de deux
cents Allemands, et nous avions ce grand débat philosophique.
Pendant que nous étions en train de discuter, deux avions
nous ont survolés et nous ont mitraillés. Tout le monde a couru se réfugier
dans les bois. Je n’ai jamais su s’ils étaient allemands ou américains. Ils
sont descendus très bas, et sont passés si vite. Là, c’était trop. Ils sont
tous revenus. On a repris la discussion (il rit), et ils ont décidé de
se rendre.
Comme j’avais le goût de la représentation, je leur ai pris
leurs armes et les ai mises autour de ma taille. Je devais avoir vingt Luger. Je
leur ai pris toutes leurs jumelles et les ai portées sur ma poitrine. Je me
suis assis sur la jeep. Les deux cents Allemands marchaient derrière moi. J’ai
avancé sur la route jusqu’à notre bataillon et je les ai livrés au colonel. (Il
rit.) C’était très drôle. Du pur spectacle. Nous avons libéré deux autres
camps de concentration.
À la fin de la guerre, j’étais à Salzbourg. Nous y
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