La Cabale des Muses
qu’ils aient, ne se rendront pas incessamment dans ladite assemblée pour approuver et signer tout ce que dessus, et que ceux qui manqueront seront poursuivis . »
Après cette épreuve, Affinius se détendit. « Alambiqué » fut le premier terme qui lui vint à l’esprit pour qualifier ce texte. Comment des personnalités de la haute noblesse peuvent-elles à ce point être dépourvues d’instruction ? Par qui les pays étaient-ils donc dirigés ? Il était temps que ces choses-là cessent, qu’une République permette à l’intelligence de supplanter les us et la force physique… Il lui faudra encore user d’une remarquable diplomatie pour imposer quelques retouches à cette prose, plus qu’indispensables pour qu’elle devienne crédible. Il se composa un visage jovial, satisfait, et conclut :
— Messieurs, je n’ai rien à ajouter.
*
— À sept contre trois, vous avez beau jeu, fripons ! pérora Pistol.
— Tu as raison, répliqua avec cynisme le mâchuré dont les bubons purulents avaient cloqué davantage depuis la rencontre précédente. La place manque ici pour vous occire convenablement. Nous serons mieux à l’extérieur.
— Je suis sans arme, allégua le crayonneur. Y aurait-il parmi vous une bonne âme pour me prêter une lame ? Ce serait moins inéquitable.
— Il ne fallait pas sortir tout nu, jeune imprudent ! Tu tireras la première qui te traversera le corps.
Tandis que Pistol accaparait l’attention, du Cauzé, toujours assis de dos, adressa d’une mimique en biais un message explicite à Lebayle qui acquiesça d’un plissement de sourcils.
— Je m’en contenterai et à la grâce de Dieu ! Dites-nous au moins qui vous envoie.
— Ta curiosité sera ta perte ! Ma fière Piqueuse frémit d’impatience.
— La Tréaumont ? insista le dessinateur.
— Tu es trop bien renseigné. Tu as signé ton arrêt de mort. Allons, dehors !
À cette invitation, le mousquetaire se déplia comme un ressort, détendit son bras prolongé par l’escabelle qui traça un fulgurant arc de cercle dirigé vers l’assaillant le plus proche. Le siège craqua mais résista au choc violent, pas les os du visage. Sans un cri, le brigand bascula en arrière.
Dans la même seconde, Lebayle se dressait, sortant de sous la table le pistolet qu’il conservait sur ses genoux et ajustait l’homme au profil d’aigle sur sa droite. Il ne chercha pas la performance et tira dans la poitrine. Il aurait préféré tuer le chef, mais Jean-Charles se trouvait sur la trajectoire. Il posa son arme inutile, dégaina l’épée de d’Artagnan pour couvrir ses amis. Du Cauzé sauta par la fenêtre ouverte pendant que Pistol raflait la rapière de la victime de celui-ci, puis il le suivit.
— Merci pour ce prêt ! Trois contre cinq, c’est plus raisonnable ! commenta-t-il encore avant de disparaître.
Géraud les rejoignit, mais les rescapés s’étaient déjà repliés, puis déployés pour les acculer dans la courette attenante.
— Vous n’avez pas fait le meilleur choix ! se gaussa le balafré. Aucun moyen d’en réchapper. À moi le faux nobliau normand que des Préaux n’a pas tardé à démasquer. Cette fois, je te réglerai ton compte.
Un de ses hommes vint le seconder de manière à coincer Géraud dans un angle. Deux autres affrontaient le mousquetaire qu’ils devinaient expérimenté, laissant Pistol le gaucher à la charge du dernier. Les assauts s’engagèrent simultanément sur des techniques différentes. L’escrime pratiquée par du Cauzé de Nazelle était académique mais très efficace et il s’amusait à contrer et repousser ses adversaires sans forcer son art. Le dessinateur, moins habile qu’avec ses fusains et ses sanguines, parait plus qu’il n’attaquait. Géraud alternait l’escrime conventionnelle et celle des rues, déroutant par instants les deux farouches bretteurs qui cherchaient à en finir au plus tôt et ainsi s’essoufflaient.
Il recula entre les brancards appuyés au sol d’une grande charrette à foin, affecta l’étonnement de s’être piégé lui-même, sauta sur le plateau incliné et domina ainsi la situation. Il recula encore jusqu’au niveau de l’essieu unique pour éviter une attaque du chef par le flanc, simula une perte d’équilibre. L’autre se rua en avant et, quand il s’apprêta à le déloger de son perchoir, Lebayle bascula la charrette d’un puissant bond en arrière dans lequel il jeta tout son poids.
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