La Cabale des Muses
Le bord du plateau monta au contact de la mâchoire du brigand qui se brisa net. L’homme s’effondra d’un bloc, menton à hauteur du nez.
Écumant – ce qui accentua son horrible rictus –, le balafré contourna l’obstacle et accula le commissaire dans le fond de la courette. Pistol, à son habitude, tentait des diversions en clabaudant comme une harengère.
Nazelle se défit de son plus faible opposant par un rapide enroulement du fer, suivi d’un revers battu qui lui ouvrit la ligne du cœur en supination. Du coin de l’œil, il surveillait l’évolution des autres combats, prêt à conclure en trois passes de manière à porter assistance à Pistol qui s’épuisait dangereusement à reculer sous des attaques répétées.
— Aïe ! s’écria celui-ci touché au bras gauche qu’il n’avait pas eu la prudence d’écarter assez vers l’arrière.
— Tiens bon, j’arrive ! lui lança le militaire.
Il avait recouvré toute sa maîtrise et sa science émoussée après le siège de Maëstricht. Géraud n’était guère mieux loti. Il était parvenu à se dégager au centre de l’espace, mais le balafré était un furieux spadassin pourvu d’une force prodigieuse. Il lui opposa des esquives par des pas chassés d’un côté et de l’autre, l’exaspérant au point de le voir frapper le sol de la semelle :
— Vas-tu te tenir tranquille ? Que cherches-tu à penduler de la sorte ?
— Je cherche à comprendre comment on a pu t’infliger cette superbe blessure qui t’a perforé les joues de part en part.
— Un félon qui a surgi d’un buisson avec sa dague, mort après son coup.
— Joli souvenir. Alors, avant de te tuer, j’aimerais récidiver l’exploit en calculant le bon angle.
— Faquin présomptueux !
— Dans ta bouche édentée, les mots sonnent comme un compliment. Garde-la ouverte, si tu ne veux pas que je te brise tes derniers chicots au passage de ma lame.
— Lame volée au défunt capitaine des mousquetaires.
— Point. Offerte. Serais-tu impliqué dans son décès ?
— À peine. Demande plutôt aux Hollandais et à l’Anglais.
— Monmouth ?
Le balafré eut le tort de tourner la tête vers du Cauzé qui venait d’embrocher son homme. Lebayle eut le tort de vouloir profiter de l’aubaine, ce qui réduisit à néant tout espoir de réponse. Le mouvement de torsion fut si bref que, lorsque la pointe effilée de d’Artagnan atteignit son objectif, le visage du chef était déjà revenu en position faciale. Passée par la bouche béant sur un gouffre noirâtre, la lame vibra en dérapant sur les cervicales. Géraud l’arracha d’un coup sec. Le moribond vomit un flot de sang grumeleux qui ne révélait pas – sans besoin d’être médecin – une santé florissante. L’empalé s’écroula dans la poussière.
— Manqué, déplora Géraud évitant les éclaboussures.
— Mieux vaut parfois rater le mille que rater la cible, conclut Pistol sentencieux.
Du Cauzé tenait en respect le dernier survivant. Les archers, prévenus par le cabaretier, survinrent à cet instant et s’en saisirent.
— Beau tableau de chasse, messieurs, observa le sergent admiratif.
— Et encore, se rengorgea le dessinateur en se tenant le bras, vous n’avez pas tout vu. Deux autres cadavres tout chauds vous attendent à l’intérieur.
1 - Marie-Casimire Louise de La Grange d’Arquien, en 1665 (1641-1716).
2 - Authentique !
3 - Morpion (de « mords » et « pion » : le fantassin, 1532).
4 - Lire Complots à la Corderie royale , même auteur, même éditeur.
5 - Texte authentique in extenso , ainsi que la suite.
XXXVI
L A RÉUNION SUIVANTE EUT LIEU dans un endroit inusité, mais beaucoup plus sûr : le cabinet du secrétaire d’État à la Marine, le jeune marquis de Seignelay, auprès duquel Géraud Lebayle avait eu le plaisir et l’honneur de mener sa précédente périlleuse enquête à l’arsenal de Rochefort. Le fils aîné du surintendant Colbert avait convié le commissaire (qui s’était présenté avec ses deux adjoints dont Pistol avec le bras bandé) pour deux raisons : l’indisponibilité de monsieur de La Reynie et les informations troublantes reçues personnellement de par son poste au ministère.
Les retrouvailles furent chaleureuses mais courtes. On se mit aussitôt au travail.
— Je n’ai pas encore eu l’occasion, commissaire, de vous féliciter de votre rapide et brillante promotion. Voilà qui est
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