La Cabale des Muses
appareiller pour croiser au large des côtes françaises et du pays de Caux.
— Ventrebleu ! s’exclama le chevalier soudain conquis. Il était temps, Affinius que vous nous offriez du concret ! Je commençais à me fatiguer de vos formules et de vos envolées verbeuses, à douter de vos réelles capacités. J’ai condescendu à m’engager à la tête de cette… de cette Fronde, à condition d’en gouverner tous les rouages. Je veux être informé au premier chef et rien ne se décidera sans mon aval. Est-ce bien clair et sans ambiguïté ?
— Absolument, admit le vieux savant sur le ton de la meilleure bonne foi et de l’évidence absolue, en griffant sa barbe-crinière de roi-lion débonnaire. Les rênes de notre attelage sont entre vos mains. Mais, de votre côté, que déposez-vous sur l’autre plateau de la balance ?
— Vous ne pensiez pas nous prendre en défaut ? grincha La Tréaumont, inversant le croisement de ses longues jambes aux bottes crottées.
— Loin de moi cette pensée. Il s’agit davantage d’une respectueuse curiosité sur les avancées de nos alliés français.
— Ils s’activent dans l’ombre ! Sous la poussée constante de « l’Union », les mécontents normands répandent des placards dans la province et resserrent un réseau de seigneurs et hobereaux fidèles à notre cause. Dans la région de Pont-Audemer circule une proclamation affirmant que la noblesse et le peuple de Normandie se sont juré de sacrifier leurs vies pour le bien commun jusqu’à obtenir une assemblée libre des États Généraux.
— Ainsi, surenchérit Rohan, tirant des feuillets froissés de sa poche, voici la déclaration que nous avons rédigée et qui composera la structure de notre Constitution.
Affinius saisit les documents comme s’il s’agissait d’une relique, interrogea ses alliés du regard pour solliciter leur accord. Fort de leur approbation muette, il se cala dans son large fauteuil de monarque fantoche. Il déchiffra tout en lisant :
— « La noblesse et le peuple de Normandie assemblés pour le bien de l’État et le service du Roy, voyant la misère publique et le pitoyable état où la cruauté et l’avarice des partisans ont réduit le royaume au dedans et le grand nombre d’ennemis que la témérité et l’insuffisance des mauvais conseillers nous ont attiré au dehors, se sont promis réciproquement et ont juré solennellement par ce qu’il y a de plus sacré et de plus inviolable, de ne séparer jamais leurs intérêts et de sacrifier leurs biens et leurs vies pour le bien commun et général et pour obtenir une assemblée libre des États Généraux du royaume dans laquelle on puisse avec sûreté délibérer et résoudre la réformation du gouvernement présent, et établir dans la dite assemblée par la dite assemblée des lois justes qu’on ne puisse changer à l’avenir et par le moyen desquelles les peuples vivent exempts de tyrannie et de vexation 5 . »
En apnée, le tribun pourtant habitué aux longues tirades inspira une généreuse bouffée d’air pour avoir d’instinct tenté de lire cette surprenante phrase dans son intégralité, tout en rectifiant l’orthographe approximative et occultant les redites pour le sens. Il restitua le contenu de ses poumons avec un sifflement qu’il voulut admiratif, sans préciser en quoi, ce qui était préférable. Puis il replongea dans sa lecture, ayant constaté qu’il n’en était qu’à la moitié de son pensum.
— « Et comme la demande qui a été faite par plusieurs et diverses fois de la dite assemblée des États Généraux a été promise en 1651, et cette promesse, quoique signée des quatre Secrétaires d’État, non seulement éludée par ceux qui gouvernent, mais aussi traitée de criminelle dans le Conseil du Roy qui, pour cet effet n’a cessé de maltraiter cette province à cause de l’intérêt qu’ils ont que tout demeure dans cette confusion qui empêche qu’on ne remarque leur méchante volonté et conduite dont ils ont lieu d’appréhender le châtiment, ladite noblesse et ledit peuple assemblés se sont encore promis et ont encore juré solennellement les uns aux autres de ne point mettre les armes bas qu’ils n’aient obtenu l’effet de leurs justes demandes et ont déclaré et déclarent traîtres à la patrie tous ceux qui étant nés ou possédant des biens dans cette province, de quelque qualité et condition qu’ils soient et quelque emploi
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