La Cabale des Muses
parfaitement crédible, Lisa, une visite quelconque dans votre famille, Lebayle. Ce qui nous laisserait une petite marge de manœuvre avant que la supercherie ne soit révélée.
— Nous y veillerons, monsieur. De mon côté, je puis vous annoncer, si vous ne le savez déjà, que Rohan est reparu à la cour sur son blanc destrier qui, à l’instar de son maître, ne peut passer inaperçu. Le chevalier assiste à la messe tous les matins, circule à Versailles comme si rien ne s’était passé et personne ne s’en offusque ni ne s’y oppose. On semble vouloir oublier l’outrage et la sanction.
— Ce retour n’est sans doute pas innocent. Il espère, par une indiscrétion, apprendre une nouvelle équipée de la part du dauphin, pour le loup ou toute autre raison. Continuez à épier ses faits et gestes. Le chevalier n’est pas un habile dissimulateur et se trouve désormais trop impliqué dans la cabale. Connaissant son caractère fantasque, il lâchera bien quelques petites phrases, de celles qui ont bâti sa renommée et accéléré sa descente aux enfers, telles que : « Je mourrais content, si je pouvais une fois tirer l’épée contre le roi dans une bonne révolte. » La révolte, nous y entrons de plain-pied. Tirer l’épée, il le fera contre la royauté mais pas contre le roi. Dès cet instant, nous sommes en alerte. Il nous faudra définir le moment propice pour intervenir. Et de votre côté, Pistol ?
— Monsieur, La Tréaumont est un démon. Malgré mes divers déguisements, je crains qu’il ne me reconnaisse tant est affûté son flair animal lequel, a contrario , lui joue parfois de vilains tours, tout à notre avantage. Il fascine, subjugue ceux qu’il rencontre. Tel un brochet, il ne lâche jamais sa proie. Il est capable de soulever des foules entières. De plus, il est imprévisible et versatile. Au cabaret des « Trois cuillers » il a provoqué en duel Chateauvillain à propos d’un banal journal que le comte aurait emprunté pour s’informer, alors qu’il lui était réservé. Anicroche riche d’enseignements puisqu’il s’agit de la Gazette de Bruxelles . Il faudra s’y intéresser et la lire entre les lignes. Quant au duel, le chicaneur s’est repris et rétracté in extremis , puis s’est éclipsé avant l’intervention des archers. C’est sur un tel coup de tête qu’il est capable de saborder une entreprise.
— Ce ne serait pas un mauvais épilogue, entre nous soit dit ! affirma Seignelay.
— À propos de déguisement, monsieur, en profita Lebayle pour intervenir, vous serait-il possible de me procurer un pourpoint et un habit de marquis, ma tenue de jardinier ne me permet pas de circuler partout au château de Versailles ? Pour le matériel de grimage, j’ai ce qu’il faut.
— Sans difficulté. Demandez à mon fidèle Félix, il s’en chargera… Soyez vigilants tous les trois, et ne laissez rien au hasard car le dénouement est proche. Il doit être en notre faveur absolue. Sa Majesté, accaparée par les soucis majeurs que nul n’ignore, compte sur votre efficacité. L’ennemi peut surgir de partout. Je mets à votre disposition les quelques hommes dont je dispose. Et que Dieu vous guide, messieurs.
Ils saluèrent le secrétaire d’État et se retirèrent. L’issue n’était pas aussi évidente qu’il y paraissait. Si la cabale parvenait à soulever la Normandie, d’autres provinces suivraient peut-être l’exemple, soutenues par la flotte hollandaise et des centaines de soldats débarqués nuitamment, de ceux que Lebayle et ses amis ont croisés dans les souterrains de Maëstricht…
*
Le marquis de La Saponière lissait sa moustache d’un geste en apparence coutumier et automatique. En vérité, c’était parce qu’elle se décollait du côté gauche. Il avait, dans les derniers rangs, assisté au petit lever (auquel Rohan qui hantait les lieux n’osait pas encore se présenter) et vaquait à présent par les couloirs et les salons, cabotant d’un groupe à l’autre afin de capter ici une indiscrétion, là une rumeur, ailleurs un avis, plus loin le ricochet d’un ragot ou d’une médisance qui recèle parfois un fond de vérité.
Le roi était entouré d’une faune hétéroclite qui, pour une grande part, se demandait ce qu’elle faisait si loin de Paris. Mais c’était comme une lanterne qui attire les insectes : papillons, abeilles, hannetons, avec un grand phalène blanc qui se désengourdissait au fil des
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