La Cabale des Muses
et l’attitude de celui-ci ne semblait pas cohérent. Pourquoi avait-il désobéi au capitaine des mousquetaires qui, bien que de rang inférieur, était son commandant désigné par le roi ?... D’évidence parce qu’il était prince anglais et qu’il estimait ne pas avoir à recevoir d’ordres d’un Français. C’était probable. Cependant, il avait risqué sa vie, même s’il en sortait sans une égratignure… Géraud ricana cyniquement en lui-même à l’évocation d’un autre adage populaire qu’il jugeait adapté à la situation : « Il n’y a de la chance que pour la canaille ! » Oui, il se l’avouait sans honte, Monmouth ne lui était pas sympathique. De ce fait, restait-il objectif ? Ses sentiments personnels ne devaient en aucune façon influer sur son enquête, règle élémentaire qu’il s’était toujours fixée… ainsi que toute sensiblerie envers la gent féminine. Maline lui labourait encore trop le cœur !
La barricade malmenée était toujours en place. Il n’en comprenait pas l’utilité. Il aurait dû prendre quelques leçons de stratégie militaire durant son voyage. Cependant, il ne pouvait deviner qu’il en aurait le besoin. Il regretta de ne pas y avoir pensé. Il s’engagea dans la triple tranchée qu’il parcourut à pas comptés en constatant que la protection des combattants était constante. Seul, un boulet tiré presque à la verticale depuis les remparts avec une grande habileté avait une mince chance d’y pénétrer. Ce qui se produisait très rarement. De la belle ouvrage de monsieur Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, qui était un ingénieur de génie.
Lebayle atteignit ce que l’on nomme toujours demi-lune en raison de son ancienne forme en croissant, mais qui désormais était un triangle dont le sommet en soc s’avançait à l’extérieur des fortifications. Il parcourut le fossé entre l’escarpe et la contrescarpe dont il estimait la largeur et la hauteur à trois toises et demie 1 . Il alla de-ci, de-là, repérer les passages possibles pour monter à l’assaut de cette fortification, s’étonna de la pente accentuée en espalier que les assaillants avaient dû escalader sous un feu d’enfer, et le peu d’endroits où se protéger, si ce n’étaient les fagots, maigres boucliers que l’on transportait et dressait devant soi. Il sua à se hisser, le plus souvent à quatre pattes, à redescendre sur le postérieur, saluant mentalement les soldats qui, avec une abnégation totale, avaient affronté une épreuve aussi surhumaine.
En nage, les mollets contractés, il se reposa sur une pierre, face à la pente, pour appréhender la position de l’ennemi qui se pourlécha à mitrailler, cribler, farcir les malheureux Français s’épuisant avec quinze livres de matériel sur le dos et un mousquet de seize ! À vingt-six ans, il n’avait pas la résistance d’un d’Artagnan de soixante révolus !... Malgré son entraînement. Éberlué, il opéra un lent tour d’horizon, perçut malgré un certain scepticisme les vibrations dans le sol et dans l’air dont lui avait parlé d’Aligny. Il entendrait presque les détonations, les explosions des grenades, les ordres impératifs, les cris de rage et ceux d’agonie, les lourds impacts des boulets, les sifflements des balles, les avalanches de terre et de pierraille, les cliquetis des armes blanches, les grincements, les craquements, les roulements des tambours, les rots sourds des canons… D’autant que flottait encore dans cette touffeur matinale l’odeur de la poudre, des fumées et de la mort.
Là-haut, en face, sur le replat de la contrescarpe, un individu, assis sous un arbre étique, épargné par miracle mais mutilé, semblait surveiller les allées et venues, ou les siennes en particulier.
Intrigué, Géraud l’observa avec attention. À cette distance, vingt-cinq ou trente toises, il ne distinguait pas tous les détails. Sous l’ombre mouvante, l’homme tenait une tablette sur ses cuisses : une écritoire ?...
Embarrassé, Lebayle simula un désintérêt complet et reprit son étude de la topographie autour de la demi-lune. Il remonta jusqu’à la muraille, se fit reconnaître par les gardes afin d’éviter toute méprise, leur promit une visite de courtoisie, puis redescendit jusqu’au bord du large fossé. Une idée lui était venue, découlant du malaxage intense des réflexions de son guide de la veille et du témoignage de Malpertuis.
Il fouilla les
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