La Cabale des Muses
éboulis, les rares buissons, les ronces envahissantes et repéra rapidement ce qu’il cherchait : la cavité où avait éclaté le fourneau qui avait alerté d’Artagnan ! Du moins l’estimait-il ainsi, n’en ayant pas trouvé d’autres et dans l’attente d’une théorie contradictoire. L’explosion avait soufflé les matériaux, effondrant la voûte sur trois toises de profondeur. Il s’aventura dans les éboulis instables, escalada, jeta un regard rapide au-delà, avant de se replier par crainte d’être enseveli sous un nouvel éboulement auguré par de larges fissures. Il en avait assez vu pour confirmer ce qu’il pressentait : un boyau s’enfonçait sous la citadelle. Il comprenait mieux certaines déclarations à propos de la barrière. Monsieur d’Artagnan et ses principaux lieutenants connaissaient l’existence des galeries par lesquelles les Hollandais pouvaient surgir. Monmouth en était-il informé lui aussi ? Cela restait à démontrer.
Géraud revint songeur vers la pointe de la demi-lune, scrutant les murailles. Là-haut sur le glacis, l’homme n’avait pas quitté son observatoire. Était-ce un espion ? Trop en évidence. Un mercenaire provocateur ?... Devait-il courir le risque de rester à sa merci ? Comme il ne lui était pas possible de l’atteindre sans un large détour et sans être repéré, il décida de s’élever à sa hauteur depuis l’escarpe, par une brèche dans le soutènement. L’individu n’avait pas bougé.
— Oh ! Guetteur ! l’apostropha-t-il, les mains en porte-voix. On versifie la mort des braves ou mes prouesses acrobatiques ?
L’autre leva le nez de son ouvrage, prit son temps pour lui adresser un signe qui se voulait amical, comme s’il avait cherché d’où venait l’ironique allusion.
— Belle matinée, en vérité, répliqua-t-il, forçant le ton. Détrompez-vous, ni l’un ni l’autre, je croque !
— Pardon ? s’éberlua Géraud qui croyait avoir mal compris et perdait ainsi l’avantage de la joute orale. Vous mangez ?
— J’esquisse, j’ébauche, je fusine.
Il saisit deux mots sur trois. Raillerie ou défi ?
— Peut-on admirer le résultat de ces crayonnés ?
— Ce ne sont que de vagues travaux préparatoires. Mais si vous y tenez… convergeons et retrouvons-nous à mi-chemin.
— Je vous en saurais gré.
Lebayle redégringola sans perdre de vue l’artiste qui ne se cachait pas et même… semblait avoir fait le nécessaire pour l’intriguer et provoquer la rencontre. Tous les témoignages pouvaient se révéler instructifs, constructifs, même les plus anodins, les plus inattendus. Ils se retrouvèrent au fond du large fossé où, sans la bise, on cuisait férocement.
— Pistol, artiste, se présenta-t-il aussitôt en se décoiffant.
Puis, il offrit son carton ouvert en guise de laissez-passer.
— J’espère que vous ne m’en voudrez pas de vous avoir arraisonné sans préambule. Je devais vous rencontrer de la manière la plus naturelle qu’il soit. On n’est pas à l’abri d’auditeurs et de lorgneurs capables de se muer en affreux mouchards. Nous bivouaquons en territoire ennemi, ne l’oublions pas.
— Pistole ? Qui se dissimile sous ce sobriquet ? « Petite arquebuse ou monnaie de dix livres » ?
— Sans arme, sans un sou et sans « e » à la fin, ce n’est que le patronyme banal attribué à un enfant abandonné ou au bâtard d’un dignitaire anonyme selon certaines rumeurs, désormais serviteur fidèle et diligent de monsieur Vauban.
— Rien… que cela ?
— S’il vous plaît, comme vous l’avez souhaité, sacrifiez un œil curieux à mes modestes lettres de noblesse…
Géraud feuilleta les dessins de tailles diverses représentant des perspectives inédites de la citadelle et du siège, des tours sous plusieurs angles, des échauguettes, une courtine, un soldat en position de tir, le plan d’un bastion, un redan avec flancs, une redoute, un panorama enfumé…
— Je croyais avoir entendu dire que le peintre officiel du siège était Paul Jean ? Il faudra m’en concéder davantage, Pistol, pour me convaincre de cet emploi, exigea-t-il, puisque le susnommé, après sa péroraison, se taisait.
— Avec plaisir. Descendons nous asseoir à l’ombre.
— Je prends le risque. À votre crédit, vous n’êtes pas dépourvu de talent. Votre trait est vigoureux, spontané, vos volumes équilibrés et contrastés, vos observations minutieuses.
Le dos
Weitere Kostenlose Bücher