La Cabale des Muses
au talus, ils se calèrent sur de grosses pierres.
— Je vous remercie de ce bouquet d’appréciations flatteuses. Je connais Paul Jean. Lui, est un véritable peintre. Pour tout vous avouer, je n’ai pas étudié le dessin d’architecture, ni suivi aucun cours. Égaré, comme je vous l’ai dit, je m’étais engagé dans les troupes royales en mai 1671 en tant que fifre, mais outre cette musique élémentaire enseignée par un pâtre charitable, j’avais aussi un goût prononcé pour la craie. D’elle-même, ma main recréait les formes et la perspective avec succès. J’en vins au fusain. Si bien que pendant de longues heures de répit que m’octroyait ma modeste fonction, laquelle m’assurait, sinon toujours le gîte, du moins le couvert et, si peu efficace au cours des canardages et des assauts, je m’exerçais à ma seconde passion. De siège en siège, voyant circuler monsieur Vauban, il m’est venu l’idée saugrenue de m’en faire remarquer par ma facilité à capter en quelques traits rapides des impressions – difficile de demander à la cavalerie de poser en pleine charge ! –, des particularités de construction, de fortifications, de barrières ou de tactiques de l’adversaire. Un jour, je trébuchai malencontreusement, avec une grande habileté, sur son passage et répandis toutes mes plus belles épures sur ses souliers à boucles. J’ignore s’il fut dupe de ma confusion, mais il m’invita sous sa tente et examina mon travail. Il critiqua sévèrement mon manque de rigueur, l’absence de lignes droites de plus d’un pouce, l’exubérance de mes hachures. J’en passe ! Je lui répliquai que mon seul souci était de capturer l’instant, que je n’étais ni peintre ni ingénieur, tout juste ingénieux. L’allusion eut l’heur de lui plaire. Il sourit, me jaugea d’un œil averti et m’embaucha sur-le-champ à l’essai avec cent mises en garde, afin de lui démontrer ce que j’étais capable de réaliser.
— Joli parcours, mais je ne suis pas monsieur Vauban et n’y entends rien en génie militaire.
— Sans doute, pourtant vous enquêtez, si je ne m’abuse, sur la mort du capitaine d’Artagnan pour le compte de Sa Majesté.
— Mouchard ou agent double ?
— Ni l’un ni l’autre, sur ma foi, grâce à Dieu ! Je suis un simple capteur et déchiffreur d’images. Et votre visite au roi n’est pas passée inaperçue.
— Si bien qu’en furetant et fougeant 2 dans les coins et les recoins, les plis et les replis, les dessous et les revers, ledit Pistol a relevé des détails inusités ou insolites qu’il souhaite me communiquer.
Le dessinateur éclata d’un grand rire franc qui ricocha au long de la tranchée et dut déconcerter quelques sentinelles. De cette manière, il rendait hommage à l’aisance oratoire de son interlocuteur qui lui rendait la monnaie de sa pièce.
— C’est exactement cela !
— Je suis tout ouïe.
— Plus que l’oreille, c’est davantage la vue qui est concernée : j’ai quelque chose à vous montrer. S’il vous plaît de me suivre…
— Volontiers. Allons-y.
Ils se levèrent, scellèrent le pacte d’une ferme poignée de main, contournèrent à nouveau la demi-lune, passèrent devant l’éboulis exploré précédemment, s’arrêtèrent quarante toises plus loin, après un double décrochement de la contrescarpe. Dans l’ombre tiède de ce renfoncement, Pistol désigna le rideau végétal qui cascadait depuis le sommet. Géraud s’approcha, écarta la chevelure bruissante car desséchée et dévoila un passage.
— Un nouveau souterrain, monologua-t-il.
Aiguillonné par une déduction soudaine, il se cabra, puis se tourna vers Pistol, campé bras croisés, souriant, satisfait de son effet. Il poursuivit son raisonnement :
— Si ce tunnel voûté s’engage tout droit, il passe immanquablement sous le plateau de Saint-Pierre, n’est-ce pas ?
— Tout à fait ; là où Sa Majesté Louis le Grand, boutant l’adversaire, a établi son quartier général.
La sueur occasionnée par la chaleur ambiante fut décuplée par une émotion intense.
— Y aurait-il des puits qui communiqueraient avec ces tunnels et qui permettraient de gagner la surface ?
— Vous avez deviné juste !
— Grand Dieu !
Géraud s’adossa à l’angle du soutènement :
— Cela signifie, à croire le « dessinailleur » autodidacte, que les Hollandais sont en mesure, malgré le siège et la reddition…
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