La Cabale des Muses
résistant aux projectiles de toutes sortes qu’une simple toile de tente ou un cabanon. Je ne suis pas un va-t-en-guerre obstiné. Ne t’attarde pas au désordre, je n’ai ni le temps ni le goût du ménage, et n’ai pu encore subjuguer une petite fée susceptible de s’acquitter de cette tâche.
Il alluma deux chandelles, arracha à la pénombre sous le bombement de la plus grosse roche une paillasse posée sur une claie. Il proposa à son invité l’unique escabelle rafistolée tandis qu’il se faufilait à quatre pattes dans un étroit goulet. Il en ressortit, en marche arrière telle une belette s’extrayant d’un terrier avec sa proie, en l’occurrence un épais carton à dessins de deux pieds sur trois emmailloté dans un morceau de toile de tente.
— Que sais-tu à propos du duc de Monmouth ? s’informa-t-il s’asseyant en tailleur à même la terre, carton gris déballé en travers des genoux.
— C’est précisément la question que j’allais te poser car le personnage m’intrigue et paraît occuper une position centrale dans le dispositif.
— Belle déduction. Je m’exécute donc… James Crofts, nommé ensuite James Scott, premier duc de Monmouth, l’illégitime – seul qualificatif que nous ayons en commun ! – fils de Charles II et de sa maîtresse Lucy Walter, « un prince de bonne mine et d’une valeur si extraordinaire que s’il eût autant d’esprit que de courage et d’adresse, on aurait pu dire qu’il n’avait pas son pareil », assurent certains esprits critiques. Monmouth est un fanfaron hâbleur, un rabatteur de jupons et un fourreur frénétique de houppettes.
— Portrait plutôt flatteur qui corrobore ce que j’en sais. Comment Sa Majesté peut-elle s’en accommoder ?
— L’Angleterre ne lui a sans doute pas laissé le choix en échange d’accords dont nous ignorons tout.
— Son rôle dans l’assaut qui nous préoccupe semble déterminant mais très controversé.
— Controversé est un euphémisme, mon compère ! À ce sujet, voici l’article paru dans le Mercure galant qui nous est tout juste parvenu hier et qui a ouvert la polémique au sein de l’état-major.
De son précieux carton, il tira quelques feuillets de la gazette, proposa à son invité la bonne page avec, en prime, son habituel sourire malicieux. Géraud lut l’article, s’attarda à l’essentiel :
« La mort au combat d’un grand homme…
Monsieur le duc de Monmouth et ceux qui combattaient auprès de lui… et les mousquetaires eurent toute la gloire de ce jour. Elle fut grande, et le péril aussi, puisque, malgré le feu des mousquets de deux mille hommes qui gardaient l’ouvrage (tant que cela ?) qu’on attaquait (la demi-lune) malgré les fourneaux, malgré six mille grenades (à raison de quatre grenadiers par régiment, cela ferait mille cinq cents par homme, soit trois cents de l’heure… ou cinq par minute ! Un prodige !...) et d’autres feux d’artifice qui furent jetés de la place, nos braves vinrent à bout de leur entreprise. Le gouverneur (Farjeau le transfuge !), au désespoir, revint avec des gens frais et reprit la demi-lune sur les nôtres, qui étaient extraordinairement fatigués du carnage qu’ils avaient fait, et qui, d’ailleurs, manquaient de poudre… Les ennemis ne furent pas plus d’un quart d’heure maîtres de cette demi-lune (ce détail concorde) , et ce fut dans cette entreprise qu’éclatèrent la conduite et le courage de monsieur le duc de Monmouth. Il sortit de la tranchée l’épée à la main et, pendant plus de trois cents pas qu’il fit à découvert, il essuya le feu du canon, celui des mousquets, outre un nombre infini de grenades (il y en avait donc encore en réserve ?).
Quoique monsieur le duc de La Feuillade et monsieur d’Artagnan ne fussent pas de jour, ils voulurent partager les périls que couraient le prince (comment auraient-ils pu être à pied d’œuvre aussi rapidement, s’ils n’avaient déjà été sur place ? Et monsieur de La Feuillade ne défendait-il pas la barrière ?).
Ce fut dans cette occasion que monsieur d’Artagnan fut tué ; le nombre de coups de mousquet était tel que la grêle ne tombe pas en plus grande abondance ; deux mousquetaires ayant voulu relever monsieur d’Artagnan furent tués à ses côtés, et deux autres ayant pris leur place et s’étant mis en devoir de faire la même chose, furent pareillement tués auprès de leur capitaine, même sans
Weitere Kostenlose Bücher