La Cabale des Muses
mais, les rênes courtes plaquées contre les joues, ils avancèrent par saccades, levant haut leurs sabots nerveux. Enfin, un coup de sifflet libéra les mâtins à l’échine hérissée qui décampèrent pour rejoindre l’éclaireur. Les autres hommes refluèrent un peu, se jetèrent sur la pente et s’escamotèrent dans les roseaux.
Alors, les chevaux s’élancèrent au galop et ne ralentirent, frémissants, qu’après une lieue. Les Français l’avaient échappé belle !
Ils s’octroyèrent une pause à l’abri d’un boqueteau d’arbres sinueux, piqués sur une petite butte qui dominait la route et mirent pied à terre pour se détendre et se désaltérer.
— Nous te remercions de tout cœur, Alexis, de ta présence d’esprit, notifia Lebayle en se massant l’épaule. Sans toi, nous risquions d’être mis à rude épreuve.
— C’est moi qui vous suis reconnaissant de m’avoir accepté parmi vous. Seul, je ne m’en sortais pas sans de graves préjudices, au bas mot.
— Géraud, s’interposa Pistol, il serait peut-être bon de s’inquiéter de cette blessure.
— Ce n’est qu’un mauvais coup un peu douloureux. Demain, il n’y paraîtra plus.
— C’est à voir. À l’étape de ce soir, je ne manquerai pas d’y regarder de plus près, ne t’en déplaise. Nos amis seront d’accord avec moi.
Les deux autres approuvèrent.
— Hélas, reprit le lieutenant, demain, je serai obligé de vous quitter avant l’aube. Nous serons à deux foulées de la frontière et je devrai alors chevaucher ventre à terre pour acheminer au plus tôt mes précieux courriers.
— Le hasard orchestrant parfois bien les choses, intervint du Cauzé de Nazelle, je suis persuadé que nos routes se croiseront à nouveau.
— Si Dieu le veut.
— Penses-tu, s’intrigua Géraud, que les contrebandiers rebroussaient chemin ou qu’ils rentraient d’expédition ?
— Je l’ignore. Ils ont juste utilisé une tactique très ordinaire qui consiste à contourner l’adversaire. Ainsi, ils nous laissaient filer devant, certains de s’échapper en cas de coup fourré. Ce ne sont pas des bandits de grands chemins qui cherchent l’affrontement, cependant, ils savent se défendre. Ils ont compris que nous étions de parole et que leur négoce frauduleux ne nous concernait pas.
— L’utilisation des chiens est astucieuse.
— Certes, Pistol ; et ceux-ci sont souvent dressés pour se rendre seuls d’un côté à l’autre de la frontière avec des blattes de tabac pesant douze à dix-huit livres 5 , mais aussi de l’alcool, du café, du chocolat, des dentelles, du grain ou du safran. Un trafic important. Si l’animal est capturé ou abattu, comment en reconnaître le propriétaire ? Il y aurait beaucoup d’histoires à raconter à ce sujet et monsieur Colbert s’intéresse de près au sujet.
— Reprenons la route sans tarder, mes amis, suggéra Alexis, nous pourrons toujours deviser en marchant.
Ils se remirent en selle et s’abîmèrent un moment dans leurs pensées. L’alerte ne laissait aucun indifférent. Puis Géraud s’adressa à Pistol :
— Ne devais-tu pas me renseigner sur le chevalier de Rohan qui opéra une apparition remarquée sur le siège ? Je le croyais révoqué et en disgrâce.
Le dessinateur temporisa si bien que Nazelle en profita pour intervenir :
— Je suis en mesure de répondre à cette question, si notre ami y consent.
D’un signe de la main, le dessinateur lui laissa volontiers la parole.
— J’ai assisté à cet épisode quand l’ancien ami d’enfance du roi a imposé sa présence sur le champ de bataille en s’engageant à ses côtés. Il s’est battu avec courage, puis, à l’issue des combats, a tenté de plaider sa cause, mais Sa Majesté n’a pas même daigné le recevoir.
— Le roi aurait-il été mortifié à ce point ?
— Secret d’État ! Toutefois, à la charge du chevalier, sa réputation n’est plus à faire depuis des décennies. Grand Veneur de France à vingt-deux ans, les honneurs lui sont montés à la tête qu’il avait déjà près du bonnet. Rohan est un homme fier, hautain, sans empire sur lui-même, d’un esprit sarcastique et dédaigneux. C’est aussi un insolent, prodigue jusqu’à la folie qui a dilapidé sa fortune en habits somptueux, en bijoux, en fêtes, en frasques diverses et en galanteries.
— Voilà un joli portrait brossé à grands coups de hache. Sa besace est chargée à
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