La Cabale des Muses
jusqu’au plafond. À deux toises de lui, il vit bouger et se soulever les décombres. Une silhouette se profila : Lebayle !... Puis une deuxième un peu plus loin dont il ne distinguait que la luisance des prunelles dans l’obscurité épaissie : du Cauzé. Ils toussèrent en chœur, se dégagèrent.
— Manque à l’appel La Bastide, déplora le dessinateur inquiet.
— Vite, creusons par ici ! commanda Géraud. Il était derrière moi, ses blessures le ralentissaient.
L’effondrement de la cheminée naturelle avait été si brutal qu’aucun n’avait pu l’anticiper pour se protéger. À mains nues, ils creusèrent la coulée meuble et furent bientôt en nage. Ils s’acharnèrent, élargirent le trou.
— Une manche ! s’exclama Jean-Charles.
Ils se jetèrent tous trois autour de cet espoir, déblayèrent comme des chiens enragés, découvrirent un bras, un chapeau enfoncé sur un crâne à hauteur des sourcils, puis des épaules.
— Il est inconscient mais il respire ! constata Pistol.
Ils creusèrent de plus belle, libérèrent à demi l’enseveli, l’arrachèrent à sa gangue, le calèrent contre la pierre humide, lui bassinèrent le visage de cette eau providentielle. Enfin, le major ouvrit les yeux, sourit à ses sauveteurs, éberlué comme s’il sortait d’un doux rêve. En deux phrases, ils l’informèrent de la situation et de son état de miraculé. Il préféra en sourire :
— Dans son immense bonté et indulgence, Dieu a décidé de m’épargner une fois encore.
— Les balles de nos adversaires ont produit un effet supérieur à nos petits jets de chasseurs de corbeaux ! s’amusa Lebayle. De l’autre côté, ils doivent déplorer des victimes car si nous nous éloignions, eux, chargeaient, le front bas !
— Ainsi, intervint du Cauzé, le souterrain en est définitivement condamné. L’initiative était excellente.
Ils se relevèrent, rallumèrent la seconde lanterne, reprirent leur marche, le cœur plus léger mais les jambes lourdes pour rejoindre la surface.
« Encore un épisode à ajouter à mon rapport au roi, pensa Géraud, un épisode qui a peut-être tué dans l’œuf une nouvelle tentative d’attentat... »
1 - 58 mètres.
VIII
D EUX PAR DEUX, LES QUATRE CHEVAUX galopaient à une allure modérée et régulière, s’encourageaient mutuellement pour demeurer en carré. Le lieutenant Alexis de Vareuil et Pistol menaient le groupe. Lebayle et du Cauzé venaient ensuite. Le hasard avait voulu qu’ils se retrouvent le même jour, et pour des raisons différentes, à la veille de leur départ du siège de Maëstricht. Discutant, ils étaient convenus que voyager de conserve serait plus prudent et plus agréable, au moins jusqu’à la frontière française car les routes n’étaient pas mieux sécurisées depuis la défaite de la Hollande. Ils étaient partis avant l’aube.
Laissant le commandement de la place au maréchal d’Estrade, Sa Majesté devait se mettre en route pour rejoindre le 16 juillet la reine et une partie de la cour à Rethel, puis se rendre à Verdun, Thionville, Metz et Nancy. L’essentiel des troupes, commandées par Turenne et le maréchal de Luxembourg, se dirigeaient aussi vers l’est afin de mettre sévèrement au pas Charles IV, duc de Lorraine qui, avec les Provinces-Unies, l’Autriche et l’Espagne avait constitué la Grande Alliance contre la France.
Certains régiments avaient ordre de se replier sur la région du nord, se positionner et veiller au grain. Le lieutenant avait donc des messages impératifs à délivrer à Colbert, Louvois, Vauban, madame de Montpensier la Grande Mademoiselle, la cousine du roi, et son frère Philippe d’Orléans. Pour arriver à bon port, il estimait raisonnable de ne pas voyager seul, quitte à perdre une demi-journée.
Pistol rentrait à son atelier afin de mettre au propre ses dessins et ses croquis, avant que son protecteur ne reparte surveiller la fortification d’une ville, ou établir le siège autour d’une autre (Besançon, murmurait-on sur le mont Saint-Pierre).
Jean-Charles du Cauzé de Nazelle, après une longue campagne où sa bravoure avait été reconnue (mais pas récompensée à sa juste valeur), avait reçu son congé.
Quant à Géraud Lebayle, il rentrait faire son rapport à monsieur de La Reynie. Il avait appréhendé la seconde rencontre avec le roi autant que la première pour des raisons différentes, mais surtout le goût amer de l’inabouti.
Weitere Kostenlose Bücher