La Cabale des Muses
sa condition, et ce n’était sans doute pas pour avoir emprunté les livres de son maître car il n’en avait guère vu dans la maison.
— Vous ne portez pas la baronne de Sainte-Croix dans votre cœur.
Gervais répondit d’une grimace comique.
Après un dernier tour d’horizon, ils redescendirent, firent une halte sur le palier.
— Malgré nos efforts permanents pour la satisfaire, je ne me souviens pas d’un seul jour où elle n’inventa pas un prétexte pour nous rabrouer et nous signifier son mécontentement.
Mis en confiance, le vieux serviteur avait profité de l’occasion pour vider son sac et ne se privait pas de libérer sa rancœur. Il se retourna, accrocha le regard de Lebayle, y lut la sincérité, n’hésita pas une seconde pour préciser :
— Je ne vous révélerai pas un secret, d’autres gens de bonne foi vous le confirmeront : madame était si jalouse qu’elle fit souvent suivre son mari et lui accrocha plus d’une fois des espions aux basques.
Le commissaire maîtrisa son étonnement et sonda son interlocuteur :
— Diable, voilà une très affreuse suspicion. Qu’en est-il résulté ?
— Ses sbires, recrutés dans les quartiers sordides, ne lui rapportaient que ce que tout le monde constatait, rien de plus, rien de mal. À moins qu’ils n’aient chargé de mensonges afin de justifier leurs services.
Par la porte, les yeux de Géraud s’étaient de nouveau fixés sur les épées du capitaine des mousquetaires. Il les voyait virevolter, parer des coups sournois, redoubler, estafilader ; il les entendait cliqueter, heurter les coquilles, frotter et enrouler le fer, fouetter, puis saluer, ouvrage gaillardement accompli…
— Mieux vaut être seul que mal accompagné, Gervais.
— Imaginez qu’elle est allée jusqu’à menacer monsieur d’Artagnan de retourner vivre dans ses domaines. Il détestait ce genre de mélodrames. Hors de son métier, c’était plutôt un homme paisible. Il ne la retint pas, au contraire. Elle rentra à Chalon, puis à Sainte-Croix. C’est sans doute là que vous la trouverez… Mais, attendez un instant.
Il lui adressa un clin d’œil complice et marcha droit sur la panoplie du mousquetaire, saisit les deux épées, hésita, les soupesa, reposa celle qui avait une garde dorée, revint vers l’autre plus ciselée, la glissa dans son fourreau, et la tendit à son visiteur avec le baudrier :
— J’ai remarqué que vous restiez en admiration sincère devant ce… ce trophée. Je vous considère comme un homme de bien. Je pense que mon maître aurait été ravi de vous l’accorder. Il m’a laissé par testament quelques menus objets dont ceux-ci. Les rues sont de moins en moins sûres et vous êtes dépourvu d’épée. Il n’en aura plus l’utilité, hélas. Qu’elle vive donc et virevolte encore entre de bonnes mains au service du roi dont vous avez la confiance. Ne dites rien, c’est inutile.
Il ramena à la cuisine un Géraud éberlué et ému comme un gamin. Pour une fois qu’il était sorti sans arme !
— Si vous persistez dans votre démarche, monsieur, armez-vous aussi de patience et d’une épaisse cote de mailles. Munissez-vous de bouchons de cire pour les oreilles car elle vous claironnera, sans le moindre respect pour le défunt, pis que pendre sur son compte.
— Vous êtes bien aimable de m’avertir. Je ne m’attendais pas à devoir affronter une gorgone. Je crois que, désormais, je préférerais rencontrer ses espions… avec en main une telle lame.
Il la fixa à son côté, se sentit transcendé. Quel honneur ! Dieu du ciel !
— Ne la sous-estimez pas, monsieur… Je parle de la femme. Elle est capable de vous faire suivre jusqu’au bout du monde pour connaître vos desseins réels, des fois que monsieur d’Artagnan, d’outre-tombe, vous aurait soudoyé pour enlever ses fils. Je ne plaisante pas. Présentez-lui toutes les garanties de Sa Majesté, polissez votre diplomatie et affûtez vos charmes.
— Je vous remercie, Gervais, de m’avoir ainsi mis en garde.
Amusé mais circonspect, Géraud prit congé après un dernier verre. Il félicita le vieux majordome de ses connaissances qui provenaient en grande partie, lui confia-t-il avec délectation, de la lecture assidue de la Gazette des Renaudot et de quelques ouvrages achetés au Pont-Neuf sous le manteau. Le service de d’Artagnan n’avait jamais été très contraignant et laissait du temps libre.
Avec générosité,
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