La Cabale des Muses
monsieur de La Reynie n’avait-il pas accordé à son commissaire fraîchement promu trois jours de repos ? Ce n’était pas encore maintenant qu’il en profiterait. Lebayle allongea la foulée, redressa le menton. La rapière lui battait le mollet. Il allait devoir s’en montrer digne…
Avant de prendre la route pour la Bourgogne vers le château de Sainte-Croix situé au sud de Louhan, il lui fallait résoudre un second problème : Lisa. Il ne pouvait pas l’abandonner à nouveau, sans chaperon, aux dangers de la capitale. Il n’avait aucun engagement envers elle, mais se sentait une obligation morale de la protéger… peut-être pour conserver un lien diffus avec Maline… Une caution ! Non, c’est juste qu’il s’était attaché à cette gamine délurée. Il devait lui chercher un pensionnat où elle ne se sentirait pas emprisonnée. Il avait donc éliminé les couvents. Alors, il avait pensé à son ami Jean-Charles du Cauzé de Nazelle qui s’était installé au village de Picpus dans une institution, une sorte d’école pour jeunes aristocrates pas très fortunés, école dirigée par un philosophe hollandais… Décidément, il était poursuivi par les Néerlandais ! Mais, évaluant les rares possibilités à sa disposition parmi ses connaissances, il ne trouva pas mieux.
— Tu me quittes déjà ?
— Lisa, je suis avant tout au service du roi. Je ne suis ni ton père ni ton tuteur. Je t’ai recueillie, je pourvois au mieux à tes besoins. N’en exige pas davantage. Je t’ai inscrite dans un pensionnat de jeunes gens de bonne famille où tu apprendras à lire et à écrire. Ce n’est que passager, juste quelque temps. Tâche de profiter de l’aubaine pour t’instruire un peu.
— Géraud, regarde-moi bien, même si je suis laide comme un pou borgne. Tu constateras que je suis ni garçon ni bourgeois.
— Précisément, tu présentes encore une silhouette très masculine. Il sera facile en conséquence de te travestir, telle est mon idée. Avec les cheveux serrés dans un catogan et tes allures de jeune aventurier déluré, tu feras illusion. Oublies-tu qu’il y a quatre mois encore tu voulais devenir corsaire ?
— C’est du passé… Mon sort est donc scellé ? À quoi sert de lire ?
— Préfères-tu mendier ton pain comme autrefois, ingrate ?
— J’ai plus rien à dire.
— Ne me fais pas regretter les attentions que je te porte. Rendons-nous chez le fripier rue de la Savaterie. Il te dénichera des habits à ta taille.
Cette éventualité d’une nouvelle garde-robe alluma une étincelle de coquetterie dans la prunelle de la fillette. C’était à deux pas. Le vieux juif dégotta à Lisa des fripes certes un peu anciennes, mais en bon état, qui lui octroyaient le sérieux et la prestance d’un jeune hobereau de province lointaine. À demi boutonné, un pourpoint droit en drap bleu de nuit laissait apparaître une chemise blanche bouffante à la Candale. Des hauts-de-chausses larges, sans être ces rhingraves extravagantes et si encombrantes qu’elles entravent la marche, atténuaient la minceur de ses cuisses. Sans garnitures excessives, un seul ruban de velours noir les serrait à hauteur du genou sur des bas gris. Des souliers à discrets nœuds en ailes-de-moulin de même coloris complétaient la panoplie.
Lisa s’admira dans le miroir piqueté que lui présentait le boutiquier. Il lui dénicha un costume de rechange à peu près semblable et un chapeau d’escolier pas trop défraîchi qui tenait du bicorne. Ainsi appareillée, la petite en oublia ses réticences premières. Ils rentrèrent rue de la Calandre afin de parfaire son personnage, adopter des attitudes, des intonations de voix, des regards, des mimiques qui, en public, ne laisseraient rien transparaître de sa féminité naissante. Ils répétèrent, peaufinèrent, puis descendirent se promener dans le quartier afin de roder les réflexes acquis. Géraud faillit éclater de rire en constatant avec quel sérieux Lisa s’imprégnait de son rôle. Elle lui posa une foule de questions à propos des règles de vie, des us et coutumes d’une école, des horaires, des professeurs, des obligations…
— L’institution est dirigée par un vieux savant hollandais, veuf et expatrié, du nom de Franciscus Van den Enden, plus connu sous le nom d’Affinius. Cet homme est un puits de science, philosophe, médecin, chimiste et docteur en d’autres matières encore. Il parle allemand,
Weitere Kostenlose Bücher