La Cabale des Muses
admirable.
— Qu’entendez-vous par là, Gervais ?
— Loin de moi l’idée de médire. Une mère, en principe, est là pour veiller à l’éducation de ses enfants et leur donner toute l’affection nécessaire, c’est pourquoi… il eût mieux valu qu’ils en aient une autre.
— Maltraiterait-elle ses fils ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit, mais il est des négligences qui sont coupables. Et notre époque est en partie responsable.
Ils arrivèrent au premier étage par une antichambre, entrèrent dans une vaste pièce tendue d’une tapisserie de Flandre à verdure défraîchie. Une couche à hauts piliers tenait le fond et, près de la fenêtre, une malle et une cassette toutes deux couvertes d’une « peau à poils ». Une tenue de cavalier figurait une silhouette suspendue au-dessus d’une selle sur un chevalet avec sa bride, une cartouchière et un baudrier. À côté, l’inventaire se complétait de peu d’objets : des sacoches, un havresac de gros cuir, une housse de cheval, deux custodes à pistolets, deux épées qui avaient beaucoup ferraillé. C’était émouvant de voir les armes d’un des plus grands escrimeurs du royaume. Géraud ne put s’empêcher de soupeser l’une d’elles, d’esquisser quelques passes et rotations du poignet ; supination, pronation, quarte, parade, double estoc…
— Quelle souplesse de la lame, quel équilibre ! s’enthousiasma-t-il.
— Ce ne sont que des épées de rechange et d’entraînement.
— Pour en revenir à cette personne… Est-ce une marâtre que vous m’avez décrit là, Gervais ?
— Pour tout vous avouer, il eût été préférable qu’elle s’intéressât davantage – madame Gervais ne me contredira pas – à son rôle que de mener la vie dure à son époux qui était le meilleur des hommes. Montons à sa chambre si vous voulez bien me suivre.
La décoration du deuxième étage était identique à celle du premier. Un dais à glands et aux rideaux de brocatelle à fleurettes en soie rayée surmontait un lit de grande taille. Le mobilier, assez spartiate, confirmait que le propriétaire ne séjournait là qu’épisodiquement entre deux campagnes : des chaises ordinaires, deux fauteuils, un siège pliant, une escabelle, deux petites tables, un miroir au cadre jadis doré et un portrait d’Anne d’Autriche.
Lebayle s’approcha de l’une des deux fenêtres qui offrait une vue directe sur le quai de Seine et l’animation des bateliers, des transbordeurs, des charretiers, des marchands, des ménagères, des ouvriers, des trimardeurs, sous l’œil désabusé des archers. À la pointe de la Cité où s’appuie le Pont-Neuf, la statue équestre du roi Henri IV lui tournait le dos. En face, bien éclairée par le soleil, s’étendait la longue galerie du Louvre qui entraînait le regard jusqu’aux jardins des Tuileries. Voilà un logis dont il se serait volontiers satisfait.
— Madame d’Artagnan, rappela-t-il d’un air détaché, est donc une femme détestable, à la hauteur de la réputation que lui a taillée la rumeur publique ?
— Jamais, en six années, je n’ai eu l’avantage de l’entendre parler avec douceur ni nous adresser autre chose que des reproches. Elle avait grief pour tout et criait fort, ne serait-ce que pour réclamer sa robe de chambre ou une tisane, comme si tout le monde cherchait à lui nuire en permanence.
— Et avec son mari ?
— Elle clame qu’elle connaît la nature réelle des hommes et s’en plaint à tout propos. Elle est jalouse, envieuse, convoiteuse, soupçonne son époux de toutes les infidélités et d’avoir des bontés pour une dame plus très jeune, mais très riche.
— Ne l’était-elle pas elle-même, très riche ?
— Si fait, mais rien n’avait grâce à ses yeux, rien ne la rassérénait.
— Un homme de cette qualité a bien droit à quelques divertissements. Il n’y a rien de plus honorable que de chercher des soutiens auprès de nobles personnes pour entretenir la fière compagnie des mousquetaires et servir au mieux son roi. C’est un devoir… et une vieille maîtresse ne porte pas à conséquence.
— Allez le faire entendre à une femme ! Certains écrivent des pamphlets, des libelles et même des livres sur l’égalité des sexes. Foutaise, monsieur ! Mais de quoi se mêle-t-on ? Molière a eu raison de se moquer des femmes qui veulent devenir savantes.
Géraud estima le vieillard très instruit pour un homme de
Weitere Kostenlose Bücher