La Cabale des Muses
hanches jusqu’à ce qu’elle disparaisse.
— Elle se montre très dévouée à ton égard, observa Géraud rêveur. N’es-tu plus fiancé à la demoiselle Anceau ?
— Si fait. C’était le dernier point que je pensais évoquer, mais puisque tu le mets en avant… Il me faudra de la patience et du temps pour acquérir une position qui convainque son père de me l’accorder. En attendant, je crois avoir retrouvé sa trace et le couvent où celui-ci l’a enfermée.
— Excellent ! Si bien qu’en piaffant, tu ne restes pas insensible aux charmes de la cadette de ton hôte.
— Attitude d’amitié toute stratégique qui ne déroge pas aux règles de la bienséance. C’est juste pour t’être agréable.
— M’être agréable de quelle façon, sinon de m’en faire profiter ?
— Pourquoi pas si cela te chante ?... Tu m’as confié la surveillance de Lisa-Gautier et quand je te disais que la petite était une fine mouche, ce n’était pas une clause de style. Je m’y suis attaché et…
— Je sais que c’est une enfant délurée qui n’a pas froid aux yeux. Que t’a-t-elle fait ?
— Elle est beaucoup trop jeune pour moi, je me contenterai de Marianne à l’occasion.
— Tu me rassures.
— Je plaisantais.
— Moi aussi.
— Donc… Un beau soir d’août, elle a vu s’infiltrer par la porte arrière de ce jardin un visiteur possédant la clef qui s’ingéniait – selon elle – à passer inaperçu bien qu’il n’y eût personne. Intriguée, la curieuse a suivi l’homme. Il était attendu. Avec Van den Enden, ils se sont enfermés deux heures dans le cabinet de celui-ci, sans qu’elle puisse capter la moindre phrase cohérente à part quelques mots. Elle a fini par me confier son secret et m’a promis de m’avertir si la chose se reproduisait.
— Ce qui est arrivé de nouveau, je présume.
— Avant-hier.
— Peux-tu me présenter cette mystérieuse porte ?
— Sans formalité ; elle n’a pas bougé de place. C’est par là, si tu veux me suivre.
Ils prirent le chemin qui contournait la pièce d’eau, s’enfonçait sous les frondaisons, se frayait un passage de plus en plus étroit entre les buissons sauvages. Une bergeronnette courut un instant devant eux et disparut dans un roncier.
— L’autre soir, j’ai donc suivi Lisa par un couloir exigu qui se heurte à une porte dérobée, expliqua du Cauzé, donnant sur le cabinet privé d’Affinius où même la terrible Catherine n’a pas accès. Ils ont discuté aussi longtemps à voix feutrée sans que nous puissions capter des propos compréhensibles.
— Pour l’heure, je ne vois rien de répréhensible là-dedans. L’homme habite peut-être du côté de Vincennes et rechigne à faire le tour de la propriété.
— J’estime qu’il prend beaucoup trop de précautions, si c’est pour éviter l’acariâtre compagne du vieux sage.
— Si bien que tu en conclus…
— Rien encore de définitif, sinon que Lisa peut se compromettre dans une situation embarrassante pour son devenir, si tu ne la sermonnes pas, et d’autre part que les Muses n’inspirent peut-être pas que des odes, des sonnets et des ballades.
— Tu vas vite en besogne… Que sais-tu de ce mystérieux visiteur nocturne ?
— Peu de chose. Il est de très haute taille, d’après Lisa – je ne l’ai pas vu moi-même, juste entendu sa voix grave. Il cache ses traits sous un large feutre et le col d’une cape noire pour mieux se fondre dans le décor nocturne.
— Je reconnais que c’est intrigant et te remercie de m’avoir informé. Je mettrai Lisa en garde et la recommande encore à tes bons soins.
— N’aie crainte, je m’en occuperai. Nous fabulons peut-être, mais il vaut mieux ne rien laisser au hasard. Et de ton côté, qu’en est-il ?
Géraud lui retraça les grandes lignes de son odyssée tandis qu’ils examinaient la vieille porte rongée par les intempéries, sans rien déceler de particulier.
1 - Nom sous lequel du Cauzé s’était inscrit aux Muses.
XVIII
— M ONSIEUR L EBAYLE , je serais très honoré que vous acceptiez de vous asseoir à ma table et rompiez le pain avec nous, et cela pour diverses raisons. Au premier chef, vous remercier de nous avoir confié votre garçon qui est un élève sérieux, travailleur, acharné, magnifiant notre enseignement et qui deviendra bientôt l’un des fleurons de notre école des Muses.
Géraud digéra ce flot de civilités et de
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