La Cabale des Muses
plus grande prudence si nous voulons découvrir toute la toile au centre de laquelle la bête à huit pattes velues se tapit.
— Tiens donc ! Tu t’exprimes à la manière colorée d’un Pistol, à présent ? T’aurais-je intoxiqué ?
— Descendons manger quelque chose, tu es mon invité. Un gouffre d’incertitudes et d’hypothèses fantastiques ravage mon estomac, surenchérit Géraud pour s’amuser. Soyons vigilants, mais ne lâchons rien. Tu poursuivras – si tu veux bien prolonger notre collaboration – tes investigations, tout en surveillant dans mon dos les sbires de la pugnace baronne de Sainte-Croix tandis que j’avertirai le lieutenant de police et rendrai visite à du Cauzé de Nazelle.
— C’est entendu, l’aventure me captive ; à table donc ! Ta double fringale – action et pitance – m’a contaminé. Bonne maladie et remèdes connus. Le lièvre que nous avons levé, le préfères-tu en civet, rôti, à la broche, à la moutarde ou au miel doux ?
*
Géraud sella sa bonne Jurance et se rendit à Picpus par la rive droite, la Bastille et le couvent des Diaconesses. L’hôtel des Muses se trouvait isolé à la sortie est du village.
Marianne, la dernière fille Van den Enden, un agréable bouquet de dix-huit ans, l’accueillit avec amabilité.
— Vous allez devoir patienter un peu, monsieur, ils sont tous en cours à l’heure qu’il est, et votre cher Gautier aussi.
— J’attendrai, ce n’est pas un souci. Comment se porte-t-il ?
Par la grande salle du réfectoire, elle l’entraîna vers le jardin.
— Vous serez mieux ici, au soleil, assura-t-elle en lui désignant un banc de pierre. Gautier est en parfaite santé, il a beaucoup changé. C’est un vrai jeune homme à présent, sérieux, appliqué, mais qui ne se lie guère d’amitié avec les autres, si ce n’est Grégoire. Il s’enferme souvent tout seul dans sa chambrette pour étudier, se tient à l’écart des bêtasseries habituelles des élèves. Un bon petit gars, monsieur. Mon père est très satisfait de ses progrès.
— Vous m’en voyez ravi.
En son for intérieur, Géraud était soulagé que Lisa ait su maîtriser ses impulsivités et n’ait pas été démasquée.
— Je venais aussi visiter mon ami Jean-Charles Ducaux 1 . Savez-vous quand il rentrera aux Muses ?
— Je crois qu’il est dans sa chambre, minauda la jeune fille. Voulez-vous que je me renseigne ?
— S’il vous plaît.
Elle esquissa une sorte de pas de gavotte et s’éclipsa vers le bâtiment principal. Il la regarda virevolter, mince et légère, fleurant bon un mélange de candeur et de badinerie. Elle n’avait sans doute pas la vivacité d’esprit d’Anna-Maria, son aînée de trois ans, ni les connaissances encyclopédiques de son père, mais offrait d’autres atouts non négligeables.
— Géraud Lebayle ! se réjouit du Cauzé de Nazelle en paraissant par la porte vitrée d’angle. Je suis enchanté de te revoir enfin. Je commençais à m’inquiéter de la durée de ton absence.
— Un petit incident sans gravité m’a retardé.
Ils se serrèrent les mains, se donnèrent l’accolade et s’assirent.
— Mon cher commissaire, j’ai des exclusivités à t’annoncer.
— Moi aussi, mais je t’écoute.
— Tout d’abord des nouvelles du petit chat sauvage dont tu m’as confié la garde. Difficile à apprivoiser les premiers temps, elle s’est adaptée aux conditions car elle est intelligente. Elle se passionne pour les études et saura bientôt lire, ce qui est méritoire et peu commun chez une fillette issue des bas-fonds. Pour tous, ici, c’est Gautier, un garçon plutôt fragile et timide, façon de garder ses distances, malgré quelques chaudes alertes. Certains petits vauriens moins doués lui cherchent parfois des poux dans la tête. Sinon, tout se passe pour le mieux.
— Sois-en remercié. La seconde nouvelle ?
— Elle concerne…
Jean-Charles s’interrompit car Marianne revenait avec une carafe de vin aux reflets violacés et deux gobelets de grès sur un plateau.
— J’ai pensé que vous auriez un peu soif. Il est frais, je viens de le tirer.
— Merci, belle enfant, tu es la plus serviable de cette maisonnée.
— C’est tout naturel, monsieur Ducaux, je suis à votre service entier.
Elle se retira de la même manière que précédemment avec une œillade appuyée au beau militaire. Les deux hommes suivirent du regard le balancement évocateur de ses
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