La Cabale des Muses

l’habile dessinateur en guise de sonde, ravi de la renaissance qu’il avait provoquée chez Géraud.
    Lebayle se pinça les lèvres entre les incisives et lui adressa un coup d’œil reconnaissant.
    — Après m’être redonné un visage humain, je vais dans l’heure courir avertir monsieur de La Reynie. Lui seul peut décider de la suite des opérations. Je ne doute pas qu’il soit très intéressé par mon récit. Il le recoupera avec les informations qui lui seront parvenues de Rouen, à n’en pas douter car La Tréaumont, des Préaux et la belle marquise de Villars ne seront pas restés inactifs pendant tout ce temps. Je lui suggérerai de mettre l’école sous étroite surveillance s’il ne m’en parle. Nous abandonnons la piste Rohan qui ne semble pas avoir de lien direct avec ce qui nous occupe.
    — Voilà comme j’aime t’entendre parler.
    — Quant à toi, tu avertis au plus tôt et avec la plus grande discrétion du Cauzé de Nazelle des dangers qu’il court. C’est un mousquetaire, il a l’esprit aiguisé et sait se battre, mais il doit impérativement protéger Lisa. La moindre maladresse peut les trahir.
    — Aucun souci ! Je m’arme jusqu’aux dents et, en attendant les renforts du lieutenant de police, je monte la garde autour de Picpus.
    Ils toquèrent leurs gobelets, achevèrent leur repas au plus vite et, sur une farouche accolade et quelques paroles d’encouragement, se lancèrent chacun de leur côté.

XXIII
    P ASCAL INTRODUISIT LE VISITEUR dans le petit salon donnant sur le jardin arrière où Louis de Rohan-Guémené l’attendait en compagnie de la tendre Renée-Maurice d’O de Villiers. Docile, elle se tenait derrière lui à l’issue d’un massage de ses épaules toujours contractées, bien qu’il lui reproche à tort son inefficacité dans cette pratique. Un doux feu ronronnait dans l’âtre.
    Par habitude, la haute silhouette courba légèrement l’échine, même si, ici, les huisseries étaient à la mesure de ses six pieds, à un pouce près ; considérant de cette manière avoir salué le maître des lieux. Il redressa la tête, s’arrêta au milieu de la pièce.
    — Pardonnez-moi, chevalier, de vous poursuivre jusque dans votre coquette retraite de Saint-Mandé et de troubler ce charmant tête-à-tête avec votre superbe conquête, mais je devais m’entretenir avec vous à propos de cette affaire dans laquelle vous avez consenti à être mon conseiller.
    D’un geste agacé, Rohan congédia sa jeune maîtresse dont les cils étaient encore humides. À son visiteur, il désigna le fauteuil qui lui faisait face sans cacher sa nervosité et son impatience. Trop de soucis l’accablaient et cette intrusion inopinée l’importunait.
    — Monsieur George de Hamel, grogna-t-il, j’aurais souhaité conserver l’adresse de cette retraite inconnue de tout le monde.
    — Vous m’en voyez désolé. Je l’ai trouvée sans grande difficulté. Cependant, je puis vous rassurer : je me suis montré de la plus extrême prudence en contournant la moitié du bois de Vincennes depuis le château, galopant vers le confluent de la Marne et de la Seine, me dissimulant pour épier mes arrières au milieu de taillis touffus et attendant la tombée du jour avant de m’approcher de cette demeure isolée quand je fus certain de n’avoir pas été suivi. Je suis navré que vous n’ayez pas meilleure confiance. J’ai estimé plus prudent de vous rencontrer ici plutôt qu’à Paris où chaque mur est incrusté d’yeux fureteurs et serti d’oreilles pointues.
    Dans la bouche d’un autre, le conte aurait pu être crédible.
    — En bref, que veniez-vous m’annoncer ?
    Le ton de Rohan était cassant. Il n’avait pu éconduire ce La Tréaumont dont il connaissait le caractère, emporté et vindicatif, aussi virulent que le sien et capable, de sa voix de stentor, d’ameuter le voisinage pour signifier son mécontentement. Mais il semblait quêter ses conseils et, somme toute, ce n’était pas un mauvais dérivatif à son humeur massacrante.
    — Nous sommes tous deux du même bois, dans des conditions d’esprit et de fortune identiques, chevalier, et votre avis d’homme éclairé m’est précieux.
    Par ce préambule flatteur, il voulait aussi rappeler à Rohan que, dans un passé où ils avaient les moyens de dilapider, il lui avait prêté une somme conséquente. L’ancien Grand Veneur lui en était toujours redevable, mais il savait qu’il ne serait jamais