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La Cabale des Muses

La Cabale des Muses

Titel: La Cabale des Muses Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gerard Hubert-Richou
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remboursé. Néanmoins, il escomptait encore transformer cette dette en services avantageux.
    — Il y a quelque temps, je vous ai présenté nuitamment un personnage étonnant : Van den Enden dont j’ai fait la connaissance autrefois lors de nos campagnes de Hollande et qui est venu s’installer en France afin de créer une académie devenue florissante, il faut le reconnaître. Il y a quelques semaines, il s’est rappelé à mon bon souvenir.
    — Je n’en ignore aucun détail, allez au fait.
    Rohan se leva d’une détente et se dirigea vers une console où étaient disposés une carafe et des verres de Baccarat. Soudain, il avait très soif.
    — Il me faut toutefois évoquer l’emboîtement des épisodes qui m’ont conduit à me confier à vous, à me livrer oserais-je dire. Votre analyse, votre jugement sont pour moi essentiels. Outre l’admiration que je vous porte depuis toujours, c’est mon neveu Auguste des Préaux qui, ayant combattu au siège de Maëstricht sous votre commandement, m’a incité à m’en rapporter à vous une nouvelle fois. Un terrible dilemme m’agite et vous seul pouvez me guider avec clairvoyance et honnêteté.
    Rohan, sans un mot, le visage hermétique, revint tendre un verre à La Tréaumont, puis il se détourna vers la baie vitrée, signifiant de cette manière que ce discours flatteur l’ennuyait. Le géant se leva et se garda de l’indisposer davantage :
    — Ainsi, reprit-il, tentant de juguler les envolées de sa voix de baryton, j’ai osé vous aborder à Fontainebleau, évoquant la première rencontre cordiale que nous avions eue quelques années en arrière – s’il vous en souvient – en promenade dans le parc entre madame de Montespan, la duchesse de La Vallière, mademoiselle de Navailles et monsieur de Villarceau…
    Ce dernier nom produisit un violent effet sur Rohan. « L’affront de l’estortutaire » marqué au fer rouge dans son honneur n’était pas cicatrisé : lors d’une chasse, le roi, pour courre un cerf, avait préféré confier l’hallali à Villarceau, maître de la « meute du cabinet » ; Rohan ne supporta pas cette humiliation et démissionna de sa charge de Grand Veneur en occasionnant un véritable scandale public.
    Il pivota sur les talons, fusilla son interlocuteur d’un regard de feu proche de la démence.
    — Monsieur, vous n’êtes pas venu me traquer pour exhumer d’affreux souvenirs ni m’insulter !
    — Loin de moi cette pensée, tout au contraire, je suis votre humble et respectueux serviteur. C’est à cette occasion qu’il y a quelque temps, j’ai sollicité votre aide afin de sonder les intentions réelles de ce philosophe hollandais, et que vous avez consenti à m’accompagner cette nuit d’octobre à un rendez-vous que j’avais avec lui. À présent, l’heure est grave et je vous conjure de me donner votre sentiment sincère et profond car je ne sais plus comment agir… Votre vin est délicieux.
    — Resservez-nous, ordonna Rohan à demi calmé en lui tendant son propre verre.
    La Tréaumont s’exécuta. Le chevalier retourna s’asseoir, croisa et décroisa ses longues jambes, but d’un trait, planta les banderilles de ses prunelles noires dans celle du géant. Celui-ci rejoignit son siège de manière à ne pas le dominer de son imposante stature, bien qu’à bonne distance :
    — Affinius Van den Enden est en effet un personnage hors du commun. Quels sont ses objectifs secrets ? L’école des Muses qu’il dirige avec brio est renommée, mais son discours de ce soir-là laisse transparaître d’autres projets d’envergure. C’est un esprit brillant, capable de s’exprimer en dix langues sur tous les sujets. Il soutient des théories extravagantes – ce qui ne manque pas de choquer car c’est aussi un habile provocateur –, qu’il ne peut, par exemple, exister un dieu de miséricorde. Il s’y entend mieux que quiconque sur les religions, soutient qu’il est de toutes et d’aucune pour dérouter, oppose la république à la monarchie absolue, prône la révolution et en démonte les rouages avec la précision de quelqu’un qui en a déjà mis les principes en pratique. C’est un esprit supérieur, mais sans doute retors. C’est, précisément parvenu à ce carrefour, que je requiers votre avis éclairé, afin de savoir s’il faut le dénoncer à la couronne – et dans quelles conditions – pour espérer par cette contribution un retour en grâce. Mais quelle

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