La Cabale des Muses
j’ai appris qu’en plus des cours, tu as souhaité t’initier à l’astronomie ?
— Non !... postillonna-t-elle en rigolant. C’est pas tout à fait exact. Pour moi, il s’agissait d’échapper à la clique de Geoffroy : quatre chenapans qui m’prenaient comme tête de Turc passe que je suis plus faible qu’eux, d’autant que j’ai comme unique allié Grégoire Mercerin, guère mieux armé que Gautier pour la bagarre. Pour lui, un gars, c’est plus ennuyeux. Ce qui met aussi ces voyous en rage, c’est qu’j’obtiens d’meilleurs résultats qu’eux, un peu bêtas et très paresseux qu’ils sont. Et puis, ils inventent toujours des jeux stupides où ils rivalisent avec leurs petits dards ridicules. Tu reconnais qu’avec la meilleure volonté du monde, il m’est difficile de rejoindre leur confrérie.
— Je le conçois et je compatis. Ce ne doit pas être facile tous les jours, ma pauvre Lisa.
— Jean-Charles compense un peu ton absence, et Marianne qui l’a séduit car, avec l’assen… avec l’accord de son père, elle le lorgnait depuis longtemps, Marianne est gentille avec moi. Elle a pris Gautier sous son aile comme un p’tit frère. C’est une amie utile, ainsi que pour nos autres affaires.
— Là aussi, je reconnais que tu as été d’une sagacité sidérante.
— Ça veut dire quoi sagacité ?
Géraud sourit. La petite était toujours curieuse et avide de savoir. Pas étonnant qu’elle apprenne avec tant d’aisance.
— Intuitive, perspicace et fine mouche. Les visiteurs d’Affinius sont ambigus… louches, si tu préfères. À l’avenir, je souhaiterais que tu sois encore plus prudente.
— À l’avenir ? se cabra-t-elle. Ça veut dire que tu me renvoies aux Muses ?
— Ne souhaites-tu plus t’instruire ?
— J’ai rien dit d’tel ! Au contraire, j’ai trop faim.
— On nous apporte le plat principal.
— Faim de savoir ! Tu l’fais exprès ou quoi ?... Tu m’as ouvert les yeux. Je te promets d’être vigilante en toute chose… Mais peut-être que l’école, avec la chambre qui m’évite le dortoir où je serais confondue aussitôt, te coûte-t-elle trop cher ?
— Là n’est pas la question… Je veux que tu t’instruises au mieux et nous n’avons, en l’espèce, pas d’autre recours.
Il était enchanté qu’elle veuille poursuivre l’expérience. La bourse offerte par le roi s’y videra, mais qu’importe ! Il profita du quiproquo qui avait humidifié les sombres prunelles de la nymphette pour imposer ses conditions :
— Lisa, je désire ton bien. Cependant, tu comprends que la situation est délicate : apprendre et rattraper ton retard, rivaliser avec ces garçons plus instruits et de familles souvent aisées, ne pas éveiller les soupçons des professeurs et du vieux sage plus malin qu’une colonie de singes, c’est une gageure de chaque instant, une épreuve dont tu t’es admirablement acquittée jusqu’à présent. Je ne veux et ne peux te l’imposer d’autant que, comme tu l’as remarqué, tes attributs féminins seront chaque jour plus apparents.
Deux larmes roulèrent sur les joues lisses, l’une s’insinua entre ses lèvres tremblantes. Par-dessus la table, elle s’accrocha à ses mains.
— Géraud… Géraud, je sais que je suis qu’une fille, une pauvre gueuse. Je t’en supplie, au nom de Dieu, me r’jette pas à la rue, j’en mourrais. Je f’rai tout c’que tu voudras, tout, mais laisse-moi étudier. J’ai compris cette arme, cette richesse. C’est ma seule chance, me la retire pas.
Ému par cet appel désespéré auquel il ne s’attendait pas, Lebayle se demanda comment il pouvait négliger cette prière. Il lui devait au moins cette faveur, en mémoire de Maline.
— Je ne reviendrai pas sur ma parole, lui murmura-t-il. Travaille tant que tu voudras, tant que tu pourras, mais promets-moi solennellement de ne plus t’occuper d’autre chose que d’apprendre.
Lisa bondit de son siège, contourna la table, se jeta au cou de son mentor, l’embrassa avec fougue sur les lèvres. Il hésita à la repousser. Elle se calma, se rasséréna. Il s’en désunit à demi, sans heurt.
— Pour toi, pour te faire honneur, souffla-t-elle à bout portant, je deviendrai savante, tu m’as donné plus que la vie.
Il la saisit par sa taille étroite et la remit sur ses pieds.
— Lisa, j’ai confiance en toi. La vie, il faut la préserver et la nourrir. Je vois qu’on nous livre un
Weitere Kostenlose Bücher