La Cabale des Muses
brouillé à mort avec le roi, s’était mis au ban de la société dans un accès de colère qu’il ne regrettait pas, n’avait plus la latitude de se rétracter ni de faire allégeance en reconnaissant ses impardonnables torts, en s’humiliant la tête couverte de cendres brûlantes aux pieds de Louis le Grand. Sa Majesté se vengeait des mauvais traitements qu’avec ses comparses il lui avait infligés dans leur jeunesse. Déchu de ses titres et ruiné, il n’était plus rien… Que pouvait-il espérer d’une clique de factieux menés par un soldat grossier, un renégat sans naissance ?
— Chevalier, repartit le fantasque Goliath, vous comprenez que je possède d’autres atouts dans ma manche – et même les deux ! – qui expliquent mon insistance et mon enthousiaste outrecuidance… Affinius n’est pas qu’une cervelle folâtre, échauffée par de fumeuses théories philosophiques. C’est un esprit brillant et pragmatique au service de la liberté, d’une véritable conception de la République à l’instar de Rome… et de son pays.
Ce nouveau préambule alambiqué irrita son interlocuteur qui dissimula mal son agacement et sa surprise sur le dernier élément de phrase.
— En un mot, acheva La Tréaumont qui s’était resservi à boire, Van den Enden n’est pas qu’un directeur d’école, mais un espion des Provinces-Unies où il a conservé des amitiés privilégiées, en particulier à Bruxelles avec le gouverneur espagnol, le comte de Monterey.
— Souhaitez-vous réactiver une guerre que nous avons gagnée sur la Hollande ?
— Point, chevalier ! Pour rien au monde. Seulement, je tiens un habile et subtil stratagème qui, sans nous obliger à courir des risques inconsidérés, nous octroierait le beau rôle.
— Nous ?
— Oui, vous et moi, chevalier de Rohan-Guémené. Une aubaine à saisir au vol par ses cheveux de fée ! Le premier avantage est que plusieurs options s’offrent à nous sur lesquelles nous pourrons débattre, raisonner et nous accorder concernant l’issue de l’affaire.
— Soyez plus explicite, grincha Rohan. Quant à s’accorder…
La Tréaumont répondit d’une arabesque de la main, remplit les verres et vint se caler dans un fauteuil qu’il tira au coin de la table de travail. Il reprit un ton plus bas avec un air madré et plutôt narquois :
— Le roi guerroie dans les provinces de l’est à la tête de ses armées au grand complet, nul ne l’ignore : Condé et Turenne, Louvois et Vauban se tiennent à ses côtés. Est-ce judicieux et raisonnable de la part d’un bon stratège ?... Que reste-t-il pour défendre la capitale ? Quelques dizaines de soldats désœuvrés et sans chef, pas davantage, les hommes de l’implacable La Reynie qui concentre ses efforts à l’éradication de la canaille et de la cour des Miracles, des trafiquants, des coupe-jarrets, but louable en soi.
— En quoi cela nous concerne-t-il ?
— De ce côté-là, nous sommes donc tranquilles. Notre fantastique projet porte ailleurs…
Il vida son verre, y vida le fond de la carafe et, s’accoudant à la table, reprit en plissant ses yeux de fouine :
— Il nous faut donc agir avec promptitude dès que l’occasion se reproduira. Je veux parler des chasses au loup auxquelles monseigneur notre dauphin s’adonne sans retenue et avec passion en l’absence de surveillance paternelle. Et pas n’importe où ! La providence nous tend la main ! Il chasse, il traque, il débuche sur nos terres normandes ! Dans la gueule du loup, si j’ose dire ! Nos renseignements sont précis et d’airain : à l’issue d’un premier relais, le dauphin s’aventure toujours seul avec son unique piqueur. Ce jeune prince est d’une folle témérité et ainsi s’expose, à la merci de la première bande de brigands rencontrée. Ce serait regrettable… Il suffit donc de dix hommes bien commandés pour se saisir de sa personne sans que quiconque remarque rien avant le lendemain, le cacher dans les bois, au fond d’une grotte… Deuxième éventualité, le conduire à Quillebeuf où un vaisseau hollandais averti aborderait nuitamment.
— Mille diables !
— Un seul suffit, monseigneur. La suite de la stratégie et l’épilogue restent à écrire et à discuter, cela s’entend : le montant d’une éventuelle rançon, des modalités de compensations ou des conditions de la délivrance du précieux héritier de la couronne de France.
Rohan demeura un long
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