La campagne de Russie de 1812
progresse bien au delà de l'arrière-garde.
Il n'y a donc presque plus de distributions régulières.
Aussi les officiers ont-ils autorisé leurs hommes « à
se pourvoir partout où ils pourraient découvrir des
vivres ».
La Garde, demeurée
autos de ses aigles, a avancé le ventre creux – moins
peut-être que les autres troupes, car, lors des rares
distributions, ils sont servis les premiers. Cependant, « beaucoup
d'hommes de la Jeune Garde, nous dit Caulaincourt, expirèrent
de lassitude sur la route, de froid et de besoins. Les chefs
voulurent faire rivaliser cette jeunesse avec les vieilles bandes qui
avaient survécu à tant de fatigues de privations, de
périls, toute cette jeunesse fut victime de ce zèle mal
placé ».
Au bivouac,
épuisés d'avoir marché sur un sol fangeux et
mouvant, tantôt, répétons-le, par une chaleur
accablante, tantôt sous une pluie battante, affamés,
assoiffés, les hommes dorment à même la terre
mouillée et froide. On a commis l'imprudence, dès le
passage du Niémen, de nourrir les chevaux avec de l'herbe
trempée et avec du seigle ver mêlé à de la
paille arrachée aux toits des isbas ! Et après moins
d'une semaine, dix mille montures ou bêtes de trait, atteintes
de dysenterie, sont mortes.
Montesquiou nous
le rapporte : « Je comptai, pendant l'espace de cinq
lieues, les corps de mille deux cent quarante chevaux morts,
quoiqu'un grand nombre d'hommes aient déjà travaillé,
pendant plus de vingt-quatre heures, à les enterrer. »
On démonte
des cavaliers afin d'atteler les chevaux aux caissons de munitions et
aux canons. « Le 29 juin, nous raconte le sergent Coignet,
un violent orage nous prit sur les trois heures avant d'arriver à
un village que p j'eus toutes les peines du monde à pouvoir
atteindre. Arrivés à l'abri dans ce village, nous ne
pûmes dételer nos chevaux ; il fallut les débrider,
leur faucher de l'herbe et faire allumer des feux. La tempête
était si forte en grêle et en neige que nous eûmes
du mal à contenir nos chevaux.Il fallait les attacher après
les roues des voitures. J'étais mort de froid. Ne pouvant plus
tenir, j'ouvre un de mes fourgons et m'y cachai. Le matin, un
spectacle déchirant !, Dans le camp de cavalerie, près
de nous, la terre était couverte de chevaux morts de froid...
«
Ainsi, avant le
général Hiver, la Grande Armée connaît les
effets du général Été... Pour l'instant,
le terrible climat est le plus sûr auxiliaire du tsar. Celui-ci
à quitté Vilna pour Swentziani dès qu'il a
appris le franchissement du Niémen par la Grande Armée.
L'Empereur est
maintenant à Vilna, une ville entourée de collines
escarpées formant un véritable camp retranché,
une ville aux rues étroites et sales, comptant quatorze
églises, une mosquée et deux synagogues. Napoléon
a tout d'abord été conquis par l'accueil délirant
des Lituaniens, qui ont reçu les troupes napoléoniennes
comme des libérateurs 5 .
Même Sophie von Tissenhaus, qui avait dansé avec le
tsar, a eu les yeux embués de larmes de joie... Mais la
manière dont les envahisseurs se sont bien vite comportés
a changé les choses. Les troupes harassées et sans
distributions ont traité les habitants de Vilna « plus
mal que des ennemis ».
– Ces
Polonais-là ne sont pas comme ceux de Varsovie, a constaté
amèrement Napoléon, quelques jours après
l'euphorie qui avait régné à son entrée
dans la ville.
« Ils
avaient reçu avec confiance une armée devenue
indisciplinée et barbare, dont les soldats pillaient les
boutiques et les auberges, nous explique Anatole de Montesquiou. Les
Allemands, particulièrement les Wurtembergeois – se
montraient les plus féroces dans l'art du pillage. »
– Vous me
déshonorez ! lance l'Empereur à leurs chefs.
Les juifs –
ils sont nombreux en Lituanie – se proposent comme aides,
interprètes ou fournisseurs de vivres. Lorsque le capitaine
Eugène Labaume atteint les premières maisons d'un
village, « une troupe d'Israélites suivis de
femmes, d'enfants, de vieillards à longues barbes, vinrent
tomber à genoux pour nous supplier de les délivrer de
la rapacité de la soldatesque qui, répandue dans les
maisons, enlevait ou saccageait tout ce qui tombait sous ses mains ».
L'armée
doit reprendre son souffle. Il faut absolument marquer une pause afin
d'essayer de regrouper l'ensemble des forces napoléoniennes.
L'Empereur demeurera donc à Vilna dix-huit jours, une
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