La campagne de Russie de 1812
Ils
commencent ensuite, à l'aide de pontons amenés avec
eux, la construction de trois ponts.
L'Empereur demande
à Caulaincourt si on parlait de sa chute de cheval au quartier
général. Il s'était fait peu de mal et s'était
si rapidement relevé qu'il croyait, comme c'était la
nuit, que personne ne s'en était aperçu...
Napoléon
est agacé de n'avoir aucune nouvelle de l'ennemi. Unique
renseignement : un juif venant de Marienpol lui annonce que l'armée
russe s'est retirée et qu'il n'y avait, entre le Niémen
et Vilna 3 ,
que des cosaques. Il paraît impossible à l'Empereur que
les Russes lui livrent la capitale de la Lituanie sans combattre. Ce
serait un déshonneur vis-à-vis des Polonais.
– C'est
perdre la Pologne que de céder Vilna !
Il est cependant
plus optimiste pour l'avenir :
– Avant deux
mois, annonce-t-il à Caulaincourt, la Russie me demandera la
paix. Les grands propriétaires seront effrayés, et même
ruinés. L'empereur Alexandre sera très embarrassé...
Après un
silence, Caulaincourt lui rappelle ce que lui avait dit le tsar :
– Je rends
justice au grand talent militaire de l'Empereur, mais on évitera
de se montrer en ligne avec lui. Si nous sommes battus, nous
prendrons exemple sur les Espagnols.
À 20
heures, Napoléon remonte à cheval et effectue une
nouvelle reconnaissance, puis une troisième et se couche à
minuit. À 3 heures du matin, alors que le soleil se lève
déjà – à cette latitude les nuits d'été
sont brèves –, on lui annonce que les ponts sont
terminés. Au sommet d'une hauteur – on l'appelle
aujourd'hui encore la colline de Napoléon – près
du village de Poniemouny, il décide d'assister au passage du
Niémen par la division Morand qui, pour la circonstance, a
revêtu la grande tenue que chaque homme doit porter dans son
sac. Les artilleurs ont construit pour l'Empereur, sur le chemin
conduisant à ça rive, un « trône »
de gazon et de branchages recouvrer d'un dais de feuillage. Il pourra
ainsi mieux contempler l'extraordinaire spectacle.
Un spectacle, en
effet !
Toutes les
collines, leurs pentes, les vallées sont couvertes d'hommes et
de chevaux... Le signal est donné. Aussitôt la multitude
commence à s'écouler en trois colonnes vers les trois
ponts. On voit « les hommes et les chevaux serpenter en
descendant la courte plaine qui les sépare du Niémen,
s'en approcher, gagner les trois passages, s'allonger, se rétrécir
pour les traverser, et atteindre enfin ce sol étranger qu'ils
vont dévaster, et a qu'ils couvriront bientôt de leurs
vastes débris » !
Certains en ont le
pressentiment. Tel le jeune Auguste de Caulaincourt, le frère
du grand écuyer, qui désigne la rive russe du Niémen
en annonçant :
– Voici
notre tombeau !
Il sera le sien,
en effet...
À 5 heures
de l'après-midi, monté à nouveau sur Friedland,
Napoléon franchit à son tour le Niémen. Le voici
tout heureux, et on l'entend fredonner – faux – Malbrough
s'en va-t-en guerre .
En abordant la
rive russe, où ils pensent être accueillis par des coups
de feu, les soldats s'arrêtent, angoissés. « Nous
nous crûmes dans un cimetière, dira l'un d'eux ; pas un
être vivant à l'horizon, pas un habitant dans les
villages !... » Au loin, des fumées noires tordent
leurs volutes. Ce sont des villages lituaniens qui brûlent.
Lorsque les premiers soldats atteignent les maisons, celles-ci ne
sont plus que cendres ! Et toujours pas un habitant ! Impatient,
Napoléon s'enfonce au galop dans la forêt qui borde le
fleuve et parcourt plus d'une lieue.
Rien !
La chaleur est
étouffante. Tout à coup, un bruit sourd se fait
entendre. Le canon ? Non, c'est un effroyable orage qui s'abat. Le
jour s'obscurcit, les coups de tonnerre et les éclairs se
succèdent. Puis une pluie diluvienne noie les êtres et
les choses.
Et quelques-uns,
après la chute, la veille au soir, de l'Empereur
virent encore là un nouveau et funeste présage.
Tandis que les
régiments poursuivent leur passage, Napoléon fait un
retour vers sa tente de la rive gauche pour déjeuner, puis il
revient sur la rive droite, pousse jusqu'à Kowno –
Kaunas en lituanien. Il fait établir son quartier général
dans un couvent situé à un kilomètre de la
petite ville fondée au XVe siècle – une ville
d'eaux encaissée entre les rives de la Wilya, petit affluent
du Niémen. Les collines sont hautes d'une soixantaine de
mètres. Le gros bourg ne compte pas
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