La campagne de Russie de 1812
;
elle est en cendres à cette heure. Je l'ai laissée tout
en flammes.
Des larmes roulent
sur le visage du tsar.
– Napoléon
et moi, déclare-t-il, nous ne pouvons plus régner
ensemble. J'ai appris à le connaître, il ne me trompera
plus.
Les Français à Moscou
Le vendredi 18
septembre, Napoléon reçoit le général
major Toutolmine, directeur de l'hospice des enfants trouvés.
Celui-ci vient lui demander de protéger ses pupilles demeurés
à Moscou. L'Empereur lui promet aide et protection, en
ajoutant :
– J'aurais
voulu traiter cette noble ville comme j'ai traité Vienne et
Berlin, qui ne tombent, que je sache, nullement en ruine mais les
Russes ont commis un acte sans précédent en évacuant
presque complètement leur ville.
Ils ont mis
eux-mêmes le feu à leur capitale et, en voulant nous
causer un ennui passager, ils ont détruit l'œuvre de
plusieurs siècles... Je n'ai jamais fait la guerre de cette
façon. Mes soldats savent combattre, mais ils n'incendient
pas. Depuis Smolensk, je ne trouve que cendres.
Des caves et des
souterrains de la ville sortent des habitants qui s'y étaient
cachés lors de l'arrivée de la Grande Armée et
que le feu avait obligés de quitter leurs abris. Près
de vingt mille Moscovites errent maintenant dans les ruines.
Cependant, il demeure encore debout presque un tiers de la ville –
deux mille maisons sur neuf mille cinq cents. Mais le pillage va
détruire ce que le feu a épargné – un
pillage absurde, grotesque, démentiel !
Donnons la parole
à quelques témoins. D'abord le baron Peyrusse
: « Le soldat couvert de boue et noirci par la fumée,
assis dans un fauteuil de velours cramoisi, mangeait sa soupe dans
des assiettes de porcelaine et buvait dans des verres du plus beau
cristal. Des forçats, des prostituées, mêlés
avec nos soldats, participaient
à cet affreux pillage. À chaque pas, on se voyait
accosté par un soldat qui, métamorphosé en
marchand, vous offrait,
à vil prix, des étoffes, des châles précieux
qui souvent enveloppaient de mauvaises morues ou un morceau de
jambon... »
Le général
Fantin des Odoards aperçoit, dans un carrosse doré
traîné par des rosses mourant de faim, des soldats qui
se pavanent, enveloppés dans des tentures de damas. Près
d'eux, des pains de sucre, des liqueurs en bouteille ou même
placés « dans de grands vases que je ne nommerai
pas... On voit des goujats affublés de l'habit de pope et des
cantinières crottées couvertes de cachemires ».
De son côté,
B.T. Duverger l'avoue : « J'étais riche de
fourrures et de tableaux, j'étais riche de caisses de figues,
de café, de liqueurs, de macaroni... » Certains
dédaignent le poisson salé et même le caviar
venant de la Volga et de la mer Caspienne, dont le goût
surprend le palais des Occidentaux.
Les habitants
demeurés sur place errent pieds nus, le visage à demi
brûlé par les flammes et pleurant comme des enfants.
« Ici, l'on voyait un homme de qualité, biens vêtu,
mais chaussé de souliers d'écorce, parce qu'un Français
avait trouvé ses bottes à sa convenance. »
M. de Fezensac croise des habitants chassés par des soldats
alliés des maisons que le feu avait épargnées et
qui s'y étaient réfugiés : « Ces
infortunés, errant comme des spectres au milieu des ruines et
couverts de haillons, avaient recours aux plus tristes expédients
pour prolonger leur misérable existence. Tantôt ils
dévoraient au milieu des jardins quelques légumes qui
s'y trouvaient encore, tantôt ils arrachaient des lambeaux de
la chair d'animaux morts au milieu des rues... »
Certains
Moscovites se sont barricadés chez eux, décidés
à soutenir un véritable siège contre les
pillards, mais ceux-ci ont vite raison de leur résistance. Ce
sont les soldats allemands, polonais, italiens ou espagnols qui se
conduisent le plus affreusement. « Les vrais Français sont bons, peut-on lire dans un document conservé
aux Archives russes ; on les reconnaissait à leur uniforme et
à leur langue, ils ne faisaient presque jamais de mal à
personne ; mais, en revanche, leurs recrues nouvelles et allemandes
ne valaient rien. » Un seul point est commun à bien
des combattants : l'ivrognerie, mais les soldats n'ont-ils pas bien
des excuses pour essayer d'oublier le cauchemar des terribles combats
et leurs marches harassantes ?
Un véritable
marché est organisé par les pillards et les nombreuses
femmes qui suivent toujours l'armée.
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