La campagne de Russie de 1812
malheureux... »
Continuons de
feuilleter la liasse passée par bien des mains avant d'échouer
dans le calme des Archives soviétiques. Le lieutenant Paradis
à Mlle Geneviève Bonnegrâce à Ollioules
(Var) : « Mon incomparable amie, j'ai fait l'acquisition
d'une fort belle pelisse en poil de renard couverte d'un très
beau satin violet... » Le même Paradis écrira
à son fils : « Grâce à l'Être
suprême, je me porte bien... » L'officier hollandais
List annonce à sa femme, demeurant à Amsterdam,
préfecture du département français du
Zuyderzee : « Je ne puis te dire le plaisir que je ressens
à me trouver sous un toit assis sur des chaises de et ayant
des tables et des assiettes pour manger, car, depuis quatre mois,
nous couchions à la belle étoile et mangeions comme des
cochons étendus par terre... »
« Si
j'ai tant tardé à vous donner de nos nouvelles, c'est
que nous avons marché cent cinquante jours sans que nous nous
arrêtions, écrit de son côté le brigadier
Saquelle à sa sœur, rentière à Sarrebourg
(Meurthe). Maintenant nous sommes à Mosquot [sic]. Nous ne
savons combien de temps... Je vous envoie quarante-huit francs pour
rhabiller nos petits en bas de laine et en souliers et le restant
pour vous habiller en taffetas... » Les quarante-huit
francs seront saisis avec la lettre quelque part entre Mosquot et le Niémen. « En résumé, écrit
Antoine Varner, attaché à l'intendance générale,
je ne me trouve pas mal de mon voyage en Russie. J'ai vécu.
J'ai vu du pays, j'ai fait quelques économies... »
Tandis qu'un autre, plus atrabilaire, trace ces lignes : « Ma
santé dépérit, l'ennui me galope : mal logé,
point de draps, plus de chemise, plus d'habit, plus de bottes, mal
nourri... »
Bien sûr,
les filles publiques sont nombreuses dans la ville. « Cette
classe, nous dit le chef d'escadron Eugène Labaume, fut la
seule qui retira quelques fruits du sac de Moscou ; car chacun,
empressé d'avoir une femme, accueillit avec plaisir ces
créatures qui, introduites dans nos maisons, en devenaient
sur-le-champ les maîtresses et gaspillaient tout ce que les
flammes avaient épargné. Il en était d'autres
qui, réellement, méritaient des égards par leur
éducation, surtout par leurs malheurs ; la faim et la misère
souvent forcèrent leurs mères à venir nous les
présenter... »
*****
Hivernera-t-on à
Moscou ? Telle est la question que tous se posent. En attendant
qu'une décision soit prise, on fait l'acquisition de
fourrures. « Pour que mes os ne gèlent pas cet
hiver, écrit encore le colonel Parguez à son épouse,
j'ai rôdé autour des soldats et je suis parvenu à
acheter à assez bon compte une fourrure chaude avec laquelle
je vais faire doubler mon vieux garick en totalité. J'ai fait
construire par un soldat de grosses bottes d'ours... »
Il demeurait
assurément assez de maisons et d'édifices publics ou
même d'approvisionnement pour que les cent mille hommes de
l'armée puissent vivre de leur conquête.
« Dans
ses moments d'ennui ou de non-occupation, nous dit le mamelouk Ali,
l'Empereur prenait un volume et puis, quand il n'en voulait plus, il
le mettait sur le meuble qui était le plus près de
lui. » Et il poursuit la lecture de L' Histoire de
Charles XII , par Voltaire...
Napoléon
s'obstine à croire à la paix s'il continue à
occuper la capitale russe. Toutolmine avait sollicité
l'autorisation d'écrire à sa protectrice, l'impératrice
douairière. Napoléon lui donne toute facilité
pour faire parvenir à Saint-Pétersbourg sa lettre en
lui demandant de faire savoir à la mère du tsar « qu'il
ne demandait qu'à conclure la paix ».
Quelques jours
plus tard, le dimanche 20 septembre, Napoléon écrit au
tsar : « À mon frère, l'empereur
Alexandre . La belle et superbe ville de Moscou n'existe plus.
Rostopchine l'a fait brûler. Quatre cents incendiaires ont été
arrêtés sur le fait ; tous ont déclaré
qu'ils mettaient le feu par les ordres de ce gouverneur et du
directeur de la police : ils ont été fusillés.
Le feu paraît enfin avoir cessé... Les incendies
autorisent le pillage auquel le soldat se livre pour en disputer les
débris aux flammes. Si je supposais que de pareilles choses
fussent faites par ordre de Votre Majesté, je ne lui écrirais
pas cette lettre ; mais je tiens pour impossible qu'avec ses
principes, son cœur, la justesse de ses idées, elle ait
autorisé de pareils excès,
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