La campagne de Russie de 1812
Elles s'occupent de la
vente des rapines et bien des soldats prennent une part indirecte à
ce commerce appelé la Foire de Moscou, augmentant encore par
ce trafic les richesses qu'ils ont acquises. « Dès
lors, ils n'aspirèrent plus qu'à rentrer au plus tôt
dans leurs foyers et jouir de la fortune qu'ils venaient de gagner
avec tant de facilité. »
Le capitaine de
Mailly-Nesle est horrifié en constatant que les sentinelles de
la Garde devant le Kremlin font leur service « recouverts
de pelisses moscovites, serrées à la ceinture par des
châles de cachemire ». Ils ont à côté
d'eux des pots en cristal opalisé, de quatre pieds de haut,
remplis de confiture et de fruits les plus recherchés. Dans
ces vases trempent de grandes cuillers à soupe en bois. Tout
autour s'entasse une énorme quantité de flacons et de
bouteilles auxquels on a cassé le col. Quelques-uns de ces
soldats se sont affublés de coiffures moscovites, au lieu de
leurs bonnets à poil. Bien sûr, ils sont tous plus ou
moins ivres, et ont déposé leurs armes contre les murs.
« C'est véritablement avec leurs cuillers à
pot qu'ils montent la garde. »
Fort heureusement,
bien des combattants sont demeurés honnêtes, tel le
capitaine Fabvier, aide de camp de Marmont, qui, devenu unijambiste,
ayant laissé sa jambe droite à Borodino, peut écrire
à son frère : « Attends-toi à me voir
revenir les mains pures du sac de Moscou. Ici, en arrivant, les
commis de la douane ont demandé si j'avais à déclarer
quelque chose. Je leur ai montré mon porte-manteau en leur
disant : ''Messieurs, il y a là-dedans un pantalon, une
chemise, un mouchoir, un bas et une botte que je vous laisserai si je
dois payer des droits pour elle, parce que c'est celle de mon pied
droit''. »
Napoléon,
lui aussi, pille... mais à sa manière. Il donner
l'ordre d'enlever la gigantesque croix d'or qui se trouve tout en
haut de la tour d'Ivan et qu'il destine à orner le dôme
des Invalides ! L'Empereur assiste à la difficile opération
exécutée par les sapeurs de la Garde. La rupture d'un
câble fait tomber la croix et « la terre tremble
sous ce poids énorme ». Trophée inutile...
car la croix disparaîtra on ne sait où pendant la
retraite 16 !
Napoléon a
certes interdit le pillage, mais il est bien difficile d'arrêter
la soldatesque qui se livre aux pires excès. On les réprime.
Pour commencer, le viol est puni de mort et l'Empereur donne l'ordre
de fusiller les incendiaires. Peu à peu, il parvient à
apporter dans cette mascarade indigne un peu de calme. On institue
une cour martiale à la tête de laquelle est placé
le général Michel, commandant le 1er régiment
des grenadiers de la Garde. À la première séance
on condamne à mort dix inculpés, et seize seulement à
l'emprisonnement, car ceux-ci « n'ont pas été suffisamment convaincus de leur crime ». Étrange
verdict !
La discipline est
rétablie, l'artillerie, le charroi, les approvisionnements
organisés. On crée une manière de municipalité
russe composée de trente-deux personnes et l'on placards dans
la ville ces lignes : « Habitants de Moscou ! Vos malheurs
sont cruels, mais Sa Majesté l'Empereur et Roi désire
en arrêter le cours. Des exemples terribles vous ont montré
comment il punit la désobéissance et le crime. Une
administration paternelle, élue parmi vous-mêmes,
constituera votre municipalité. Elle s'occupera de vous, de
vos besoins et de votre bien-être. » Décision
qui, on s'en doute, ne tranquillisa nullement les Moscovites demeurés
dans la ville. La police est placée sous les ordres du préfet
Jean-Baptiste de Lesseps, ancien consul général à
Saint-Pétersbourg.
On finit par
s'organiser. Un restaurant s'est installé dans une baraque
place Rouge : « On m'y servit un bifteck aux pommes, une
bouteille de vin et le café pour la somme assez peu modeste de
huit francs », écrit le capitaine Brandt.
Les cosaques
continuent à intercepter le courrier le long de l'interminable
route et nous pouvons aujourd'hui nous pencher sur ces lettres qui
apportent tant de choses vues, croquées sur le vif : « Nous
nous sommes procuré trois vaches à nous trois, écrit
l'un des occupants de Moscou, le colonel Parguez, aide de camp du
général Morand, à Mme Pariez, 3, rue de
l'Échelle, aux Tuileries, à Paris, et à nous
trois nous gobons une soupe au café tous les matins... Tu vois
que nous ne sommes pas si
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