La campagne de Russie de 1812
comte Rostopchine
n'est pas l'unique , mais il est le principal auteur de
l'incendie de Moscou. » Et cela, me semble-t-il, peut être
la conclusion de l'Histoire.
*****
La Garde, qui
occupe la cité du Kremlin, pourra-t-elle protéger le
berceau de la ville où l'on vient d'installer un dépôt
d'artillerie ?
L'Empereur essaye
de travailler. À chaque instant, il se lève, marche,
puis se rassied brusquement. Ségur le voit durant toute cette
terrible journée parcourir ses appartements d'un pas rapide.
Il reprend et quitte encore son travail pour se précipiter à
ses fenêtres afin de regarder les eaux de la Moskova qui
roulent en reflétant les flammes et semblent un fleuve de
sang. Tout le centre des affaires – le quartier Kitaï –
est en feu :
– Quel
effroyable spectacle ! s'exclame-t-il. C'est une guerre
d'extermination. C'est une tactique horrible sans précédent
dans l'histoire de la civilisation. Brûler ses propres villes !
Tant de palais ! Quelle résolution extraordinaire ! Quels
hommes ! Ce sont des Scythes !
Parfois, on lui
amène un incendiaire, il hausse alors les épaules et
ordonne « avec un geste de mépris et d'humeur qu'on
l'emmène loin de ses yeux » ; le malheureux sera
fusillé.
Le soir tombe. Le
Kremlin paraît bientôt cerné et assiégé
par des tourbillons de gammes. « Le poil des bonnets
grillait sur la tête des grenadiers. » Le danger est
d'autant plus angoissant que l'on a rangé dans la cour du
Kremlin quatre cents caisses de munitions et que les Russes y ont
laissé un dépôt de poudre.
Il faut donc fuir
! Supplié par le prince Eugène et par Murat, l'Empereur
consent enfin à donner l'ordre du départ... Léchées
par les flammes, les portes de la citadelle donnant vers la ville et
la place Rouge – la Belle Place – refusent de
s'ouvrir. On découvre enfin, du côté de la
Moskova, une poterne qui semble aujourd'hui avoir disparu – à
moins qu'il ne s'agisse de celle flanquant la porte Borovitzkaïa
qui, elle, existe toujours. Quoi qu'il en soit, appuyé au bras
de Caulaincourt, Napoléon, suivi de Constant, traverse sur un
pont de bois la Neglinnaïa, cette petite rivière qui,
telle l'eau des douves, entourait autrefois cette partie du Kremlin.
L'Empereur
débouche sur le quai et traverse la Moskova. Le voici dans le
quartier des marchands. Son mouchoir sur la figure, il suit une rue
étroite, tortueuse, et s'avance dans le concert crépitant
des brasiers. Autour d'eux, les poutres brûlantes s'écroulent.
« L'Empereur, nous dit Constant, eut sa redingote grise
brûlée en plusieurs endroits, de même que ses
cheveux. Une minute plus tard, nous marchions sur des tisons
ardents. » Le petit groupe craint de s'être égaré
car la fumée l'aveugle. Un guide s'offre à les
conduire... mais il se perd, lui aussi ! « Dans les rues
étroites le feu, concentré comme dans une fournaise,
doublait d'intensité, où le rapprochement des toits
réunissait au-dessus de notre tête les flammes en dôme
ardent qui nous ôtait la vue du ciel. Il était temps de
sortir de ce pas dangereux ; une seule issue s'offrait à nous
: c'était une rue tortueuse, encombrée de débris
de toutes sortes, de lames de fer détachées des toits
et de poutres brûlantes. Il y eut parmi nous un moment
d'hésitation. Quelques-uns offrirent à l'Empereur de le
couvrir des pieds à la tête de leurs manteaux et de le
transporter sur leurs bras au-delà de ce terrible passage.
L'Empereur refusa et trancha la question en s'élançant
à pied au milieu des débris embrasés. Deux ou
trois rudes enjambées le mirent en lieu de sûreté. »
enfin !
Le fugitif
retrouve l'un de ses écuyers qui lui présente Tauris.
Il y monte et galope sur la route de Saint-Pétersbourg où
il s'installe dans le disgracieux palais de Petroskoïé,
appartenant à un dignitaire du tsar et entouré de bois.
Alexandre s'y était reposé avant d'entrer dans la ville
à la veille de son couronnement. Le château se dresse
toujours, coiffé de sa coupole orientale, cerné par ses
murailles en brique, flanqué de tours et orné de hautes
fenêtres cintrées, à une lieue du centre de
Moscou 15 .
La nuit venue,
l'Empereur sort du palais à plusieurs reprises avec
Montesquiou. « L'incendie semblait dévorer
également le ciel et la terre. La scène changeait à
chaque instant de forme, d'étendue et de couleur. De grands
tourbillons du noir le plus opaque, s'élevant après la
chute des édifices
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