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La canne aux rubans

La canne aux rubans

Titel: La canne aux rubans Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Grangeot
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sa
faim.
    — Je continuerai tout à l’heure, Nanette. Faut que je
me calme.
    Frédéric pousse la porte avec force et entre en
chantant :
    — Allons enfants de la patrie – ie. Le jour de
boire est arrivé.
    — « De gloire » grogne le père…
    — Ça c’est la Marseillaise à Beauceron, dis-je en
riant.
    — À table ! lance Marie.
    Et nous voici réunis à nouveau autour de ce vieux meuble. Le
père placé sur une chaise à un bout, moi entre lui et ma mère sur un grand banc
en compagnie de Frédéric et Henri. Nous faisant face : Marie, avec à sa
gauche Georges, puis Julienne et Georgette. Le repas se compose d’une bonne
soupe de pommes de terre au lard, d’un gigot cuit dans le four du boulanger, de
fromage de chèvre et pour finir d’une grosse tarte aux pommes blondes. Tout le
monde se régale. Aujourd’hui je suis sûr que les miens mangent à leur faim.
    — Quel menu de gala ! s’exclame ma mère.
    — Des agapes républicaines ! relance mon père.
    Il ne reste rien dans les plats. Tout a été englouti et bien
arrosé par deux bouteilles cachetées. Je parle de Saint-Estèphe et des
vendanges ; mais en oubliant volontairement la petite Louise. Les enfants
me posent des questions et Henri nous fait rire en remarquant :
    — Tu dis que ce pays est sur une presqu’île ; donc
il y a de l’eau autour ; alors le vin doit avoir le goût de l’eau.
    Quelqu’un frappe au carreau.
    — Entrez ! s’écrie mon père.
    Trois hommes apparaissent. Je reconnais : Quercy le
Plâtrier, Tourangeau dit Lafleur et Poitevin. Ils se précipitent sur moi et
m’embrassent plusieurs fois.
    — Ben ! il est beau le fils, affirme Tourangeau.
    — Ouais ! tu peux en être fier, mon vieux Blois La
Science, conclut Poitevin.
    — Et dire que j’avais proposé qu’on te déclare sous le
prénom de Boule de Neige, rigole Quercy. Tu aurais l’air malin aujourd’hui !
    Georges, Henri, Frédéric et Georgette vont jouer dehors.
Julienne se remet à la coupe de son étoffe. Marie dessert la table, ajoute des
assiettes pour les nouveaux arrivants. Notre mère met son châle sur ses épaules
et rapporte deux bouteilles et une autre tarte. Tous les hommes parlent à la
fois. Chacun m’interroge sur Beauceron, le Nantais, la Cravate, Rabier. Autour
de moi valsent des visages, des corps, des manies, des vieilles histoires
accompagnées du même refrain : tu te souviens ? Je leur raconte alors
l’anecdote des « vers luisants » à Saumur, suivie de la combine de
L’Angoumois vendant ses épingles de cravate… Les rires éclatent, rauques,
tonitruants. On se tape sur la cuisse, dans le dos. On avale de travers et on
tousse si fort que les visages ressemblent à des aubergines. Un après-midi
mémorable dont ils reparleront longtemps après mon départ, au cours des
veillées. Mon père en oubliera quelques instants ses douleurs. La soirée se
poursuit joyeusement, on mange, on boit. Puis, tout d’un coup, les visiteurs
découvrent l’heure tardive. Ils se lèvent, remercient, nous embrassent pour
s’en retourner dans leur famille. Marie, sans que j’y prête attention, s’est
recoiffée. Elle a relevé ses cheveux, en forme de chou, le long de sa tête,
comme le font les dames de Paris. Sur sa petite robe, qui a dû appartenir à
maman, elle met un manteau. Elle vient à moi sans me dire un mot. Je réalise
que je me dois de tenir ma promesse.
    — Ne rentrez pas trop tard, dit mon père en me faisant
un clin d’œil.
    — Et ne faites pas de bruit, ajoute ma mère.
    Je vais me donner un coup de peigne, je me lave les mains,
puis, devant les rires des enfants, j’offre mon bras à Marie. Nous formons
ainsi un couple de jeunes mariés. Dans la salle des fêtes, l’orchestre joue des
polkas endiablées et des valses un peu trop « appuyées » à mon goût.
    — Tu danses Adolphe ?
    — J’ai jamais appris, tu sais.
    — Essaye. En allant là-bas, près des vieux qui font
tapisserie, nous pourrons facilement nous arrêter si cela t’ennuie. J’attendrai
le bon plaisir d’un autre cavalier, sourit-elle.
    Je m’applique ; dire que je suis à mon aise, sur mes
deux jambes, en haut d’un échafaudage ! Mais là sur le plancher, je
ressemble à un gros lourdaud. D’un commun accord nous nous arrêtons. Devant
nous, des filles et des garçons se dandinent en se tenant raides comme des
sonnettes. Je constate que notre présence a été remarquée, surtout la mienne.
Je

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