La case de L'oncle Tom
maîtresses.
– Certainement, elle découvrira cela, et un monde d’autres vérités salutaires, dans le même genre ; sans nul doute.
– On parle d’avoir des esclaves ! comme si c’était pour notre bien-être ! Si nous consultions notre bonheur et notre repos, nous leur donnerions à tous la volée d’un seul coup. »
Évangeline fixa sur la figure de sa mère ses grands yeux sérieux, avec une ardente expression d’anxiété, et dit simplement : « Pourquoi les gardez-vous alors, maman ?
– À coup sûr, je n’en sais rien, si ce n’est comme pénitence ; ils sont la croix de ma vie, l’unique et véritable cause de tous mes maux. Ce sont les plus mauvais esclaves dont personne ait jamais été affligé.
– Allons, cela n’est pas, vous le savez, Marie ; vous avez des vapeurs ce matin. Tenez, Mamie n’est-elle pas la meilleure des créatures ? que deviendriez-vous sans elle ?
– Mamie est la meilleure que j’aie rencontrée, et cependant Mamie elle-même devient égoïste, atrocement égoïste ; c’est le défaut de la race.
– L’égoïsme est un atroce défaut, en effet, dit gravement Saint-Clair.
– Voilà Mamie, n’est-ce pas égoïste à elle de dormir si profondément, quand elle sait que presqu’à toute heure de la nuit j’ai besoin de petites attentions ? Elle est si difficile à réveiller pendant mes plus grandes souffrances ! Je suis plus malade ce matin, grâce aux efforts que j’ai faits pour l’appeler.
– N’est-elle pas restée debout plusieurs nuits de suite, près de vous ces temps-ci, maman ? demanda Éva.
– Qu’en savez-vous ? répondit aigrement Marie ; elle s’est plaint, je suppose ?
– Elle ne s’est pas plaint ; elle m’a seulement parlé de tant de mauvaises nuits que vous aviez eues.
– Pourquoi ne prendriez-vous pas Jane ou Rosa une nuit ou deux, pour la laisser reposer ? interrompit Saint-Clair.
– Vous êtes fou, Saint-Clair, de me faire une pareille proposition ! Nerveuse comme je le suis, le moindre souffle me trouble, et une main maladroite me rendrait frénétique. Si Mamie avait pour moi l’attachement qu’elle devrait avoir, elle s’éveillerait au moindre bruit ; – c’est son devoir. J’ai entendu parler de gens qui possédaient des serviteurs dévoués ; tel n’a jamais été mon lot, » soupira Marie.
Miss Ophélia avait écouté cette conversation d’un air grave et observateur ; à ce moment elle serra fortement les lèvres, comme une personne décidée à reconnaître son terrain avant de se risquer.
« Mamie a bien une sorte de bonté, continua Marie ; elle est douce, respectueuse, mais égoïste au fond. Le souvenir de son mari la troublera et l’agitera toujours. À l’époque de mon mariage et de ma venue ici, j’ai été obligée, vous le savez, de l’emmener avec moi ; mon père ne pouvait se passer du mari ; c’est un forgeron, et partant il lui était très-nécessaire. Je pensais, et je le dis alors, que Mamie et lui feraient bien de se rendre réciproquement leur liberté, car il était plus que probable qu’ils ne se reverraient jamais. Aujourd’hui je regrette de n’avoir pas insisté davantage, et donné à Mamie un autre mari ; mais je fus faible, sotte, et je cédai. J’avertis Mamie qu’elle ne pouvait s’attendre à le revoir plus d’une ou deux fois dans sa vie, que je ne retournerais pas à l’habitation de mon père, l’air ne m’en étant pas favorable ; je lui conseillai donc de changer d’époux, mais elle ne voulut pas, absolument pas. Il y a des points sur lesquels Mamie est d’un entêtement qui passe toute croyance !
– A-t-elle des enfants ? demanda miss Ophélia.
– Oui, elle en a deux.
– Il doit lui être pénible d’en être séparée.
– Je ne pouvais les emmener, certes. Ce sont de dégoûtantes petites créatures ! Il n’y avait pas à y songer ; d’ailleurs ils lui prenaient beaucoup trop de temps. Mais je soupçonne que Mamie m’en a toujours gardé une sorte de rancune. Elle n’a pas voulu se remarier ; et, quoiqu’elle sache à quel point elle m’est nécessaire, et combien je suis faible de santé, je crois qu’elle irait rejoindre dès demain son mari, si elle le pouvait : je n’en fais pas doute, en vérité. Les meilleurs d’entre eux sont devenus si égoïstes aujourd’hui !
– C’est un désolant sujet de méditation, » dit Saint-Clair d’un ton sec.
Miss Ophélia lui
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