La case de L'oncle Tom
sobriété. Si cela vous agrée, il vous mènera comme un enterrement. Allons, ouvrez les yeux, examinez-le, et ne dites plus que, dès que j’ai le dos tourné, je cesse de penser à vous. »
Marie, sans bouger, leva les yeux sur Tom.
« Je suis sûre qu’il se grisera, dit-elle.
– Non, non ; il est garanti pieux et sobre.
– Soit ; je désire qu’il tourne bien, beaucoup plus que je ne l’espère.
– Dolphe, reprit Saint-Clair, fais descendre Tom, et prends garde encore un coup, ajouta-t-il, rappelle-toi ce que je viens de te dire. »
Adolphe marcha devant d’un pas leste, et Tom le suivit d’un pas lourd.
« C’est un véritable Béhémoth ! dit Marie.
– Allons à présent, ma chère, reprit Saint-Clair, s’asseyant sur un petit tabouret au chevet du sofa, soyons aimables. Avez-vous quelque chose de gracieux à dire à un pauvre garçon ?
– Vous avez été de quinze jours en retard, sur ce que vous aviez promis, murmura la dame en faisant la moue.
– Ne vous en ai-je pas écrit le motif ?
– Une lettre si glaciale, si courte !
– Eh ! chère, le courrier partait ; il n’y avait pas le temps : il fallait abréger, ou ne pas écrire du tout.
– Toujours le même ! plein d’excellentes raisons pour faire vos voyages longs et vos lettres courtes !
– Là, regardez un peu ceci, je vous prie. Il tira de sa poche un élégant écrin de velours, et l’ouvrit : Je vous apporte ce cadeau de New-York. »
C’était le daguerréotype d’Éva et de son père se tenant par la main. Les figures étaient admirablement bien venues.
Marie considéra les portraits d’un air mécontent.
« Où avez-vous donc été choisir une pose si gauche ?
– Gauche, soit ! la pose est affaire de goût. Mais, que dites-vous de la ressemblance ?
– Vous ne feriez pas plus cas de mon opinion sur ce point que sur tout autre, à ce que je présume, répliqua Marie, et elle referma l’écrin.
– Peste soit de la femme ! pensa tout bas Saint-Clair, et il reprit tout haut : Allons, Marie, assez d’enfantillages comme cela ; dites, les trouvez-vous ressemblants ?
– Il faut être aussi insouciant que vous l’êtes pour me tourmenter de la sorte, et me contraindre à parler et à regarder, quand vous savez que je suis demeurée tout le jour couchée avec le plus affreux mal de tête ! Depuis votre arrivée c’est un bruit, un remue-ménage ! j’en suis à demi morte.
– Vous êtes sujette à la migraine, madame ? dit miss Ophélia, sortant tout à coup des profondeurs de la bergère, où elle était demeurée ensevelie, faisant, à part elle, l’inventaire du mobilier et en calculant la dépense.
– Oh ! je suis un véritable martyr, soupira la dame.
– Le thé de genièvre est bon pour les maux de tête, dit miss Ophélia ; au moins Augusta, la femme du diacre Abraham Perry, avait coutume de le dire, et c’est la meilleure des gardes-malades.
– J’aurai soin de faire apporter ici les premières graines de genièvre qui mûriront dans notre jardin des bords du lac, dit Saint-Clair, tirant gravement la sonnette. En attendant, cousine, vous devez avoir besoin de vous retirer dans votre appartement, et de vous reposer un peu après ce long voyage. Dolphe, ajouta-t-il, envoyez-nous Mamie. L’honnête mulâtresse qu’Éva avait si tendrement caressée entra presque aussitôt. Elle était très-proprement vêtue, la tête ornée d’un turban rouge et jaune, récent cadeau d’Éva, que l’enfant avait elle-même ajusté.
– Mamie, dit Saint-Clair, je te confie cette dame, elle est fatiguée. Conduis-la dans sa chambre, et veille bien à ce que rien ne lui manque. » Miss Ophélia suivit Mamie et disparut.
CHAPITRE XVII
La maîtresse de Tom et ses opinions.
« Aujourd’hui, Marie, votre âge d’or commence, dit Saint-Clair ; notre cousine, alerte et entendue comme une vraie fille de la Nouvelle-Angleterre, va décharger vos épaules du lourd fardeau des soins domestiques, vous donner le temps de vous reposer, et de redevenir belle et jeune tout à loisir. Et plus vite se fera la cérémonie de la remise des clefs, mieux cela vaudra.
Ceci se passait pendant le déjeuner, peu de jours après l’arrivée de miss Ophélia.
– Elle est la bien venue, répondit Marie, laissant avec nonchalance tomber sa tête sur sa main : elle s’apercevra bien vite à l’épreuve que les véritables esclaves, ici, ce sont les
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