La case de L'oncle Tom
Canaan !
– C’est plus beau qu’un opéra, je parie ?
– Oui ; et il va me les apprendre.
– Quoi, t’apprendre à chanter ? et tu fais des progrès ?
– Oui ; il chante pour moi, et moi je lui lis la Bible ; il m’explique ce que cela veut dire, vous savez.
– C’est, ma parole, dit Marie en riant, la plus piquante plaisanterie de la saison.
– Tom n’est pas un mauvais commentateur, j’en jurerais, reprit Saint-Clair ; il a de nature un certain génie religieux. Ce matin, de bonne heure, j’avais besoin des chevaux ; je suis monté au bouge de Tom, au-dessus des écuries. Là, il tenait une assemblée à lui tout seul. De fait, il y avait longtemps que je n’avais rien entendu d’aussi onctueux que sa prière ; il m’y faisait figurer avec un zèle tout à fait apostolique.
– Peut-être se doutait-il que vous l’écoutiez ? – Je suis au fait de ces momeries-là.
– S’il s’en doutait, il ne se montrait guère politique, car il donna au Seigneur son opinion sur mon compte en toute liberté. Tom semblait penser qu’il y avait marge à correction, et demandait ma conversion au ciel avec une édifiante ardeur.
– J’espère que vous en prenez bonne note au fond de l’âme, dit miss Ophélia.
– Je vois que vous partagez l’avis de Tom, reprit Saint-Clair. Eh bien, nous verrons ; – n’est-ce pas, Éva ?
CHAPITRE XVIII
Défense d’un homme libre.
L’après-midi touchait à sa fin ; on se hâtait doucement dans la maison des quakers. Rachel Halliday, toujours calme, allait et venait, choisissant parmi ses provisions de ménage ce qui pouvait tenir le moins de place dans le bagage des voyageurs. Les ombres s’allongeaient vers l’Est, le disque rouge du soleil atteignait l’horizon, et ses rayons, d’un jaune d’or, éclairaient la petite chambre à coucher. Georges était assis, son enfant sur ses genoux, la main de sa femme dans la sienne. Tous deux avaient l’air pensif, et leurs joues conservaient des traces de larmes.
« Oui, Éliza, reprit Georges ; je sais que ce que tu dis est vrai. Tu es une bonne et digne créature, beaucoup meilleure que moi : j’essaierai de faire ce que tu désires ; je m’efforcerai d’agir en homme libre, de sentir en chrétien. Dieu tout-puissant sait que j’ai eu l’intention de bien faire, – que j’ai lutté, alors que tout était contre moi. Maintenant j’oublierai le passé, je ferai taire tout sentiment amer et vindicatif ; je lirai la Bible, et j’apprendrai à devenir bon.
– Une fois au Canada, je pourrai te seconder, dit Éliza. Je suis habile couturière ; je sais blanchir, repasser, et à nous deux nous trouverons moyen de vivre.
– Oui, Éliza, à nous deux , et avec notre enfant. Oh ! si les gens pouvaient savoir ce qu’il y a de joie pour un homme à penser que sa femme et son enfant lui appartiennent ! Je me suis souvent étonné de voir des blancs, en pleine possession de leurs enfants, de leur femme, se créer à plaisir des chagrins, des tourments ! Moi, je me sens riche et fort, bien que nous n’ayons chacun que nos dix doigts. À peine oserais-je demander à Dieu d’autres faveurs. Oui, quoique j’aie péniblement travaillé tous les jours de ma vie, et qu’à vingt-cinq ans je n’aie pas un denier, pas un toit pour me couvrir, pas un pouce de terre que je puisse appeler mien, si on me laissait en paix, – je serais heureux, – reconnaissant. Je travaillerai, et j’enverrai l’argent du rachat de toi et de mon fils. Quant à mon vieux maître, il a quintuplé et au-delà ce que j’ai pu lui coûter ; – je ne lui dois rien.
– Nous ne sommes pas hors de danger, dit Éliza ; nous ne sommes pas encore au Canada.
– C’est vrai, mais il me semble en respirer déjà l’air libre, et il me remonte. »
En ce moment des voix se firent entendre dans la pièce voisine. On parlait avec vivacité : peu après on frappa à la porte, Éliza ouvrit.
Siméon Halliday était là, accompagné d’un confrère quaker, qu’il annonça sous le nom de Phinéas Fletcher. Phinéas était grand, efflanqué, roux ; sa physionomie exprimait beaucoup de perspicacité et passablement de ruse : il n’avait ni l’air placide de Siméon, ni son détachement des choses de ce monde. Tout au contraire, il était on ne peut plus éveillé, et au fait , comme un homme qui se pique de savoir de quoi il retourne, et d’avoir l’œil au guet, particularités qui
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