La case de L'oncle Tom
plusieurs reprises, et la suivit longtemps du regard.
« Pas possible de la retenir avec nous ! pas possible garder miss Éva ! dit-il à Mamie qu’il rencontra un instant après. Le signe du Seigneur est sur son front !
– Eh ! là ! là ! Hélas ! oui, soupira Mamie, levant les mains au ciel. Moi, le dire toujours ! – Jamais elle a été une enfant à vivre, – toujours là, au fin fond de ses yeux, un je ne sais quoi. – J’ai tant dit à maîtresse ! – et voilà que ça devient vrai ! – Nous le voir tous aujourd’hui ! – Oh ! chère ! oh ! doux petit agneau béni ! »
Éva courait, remontant les marches pour aller rejoindre son père ; le soir approchait, les lueurs du soleil couchant couronnaient sa tête d’une sorte d’auréole, comme elle s’avançait toute aérienne, dans ses vêtements blancs, ses cheveux ondés rayonnant autour de ses joues brillantes, ses yeux allumés par la fièvre lente qui la consumait.
Saint-Clair l’appelait pour lui montrer une statuette qu’il lui avait achetée ; mais son aspect, au moment où elle le rejoignit, le frappa au cœur. Il est un genre de beauté, à la fois si intense et si frêle, qu’on ne le saurait contempler sans angoisse, et son père, oubliant ce qu’il allait lui dire, l’étreignit soudain dans ses bras.
« Éva chérie ! tu te sens mieux ces jours-ci, n’est-ce pas ?
– Papa ! – la voix d’Éva prit une fermeté inaccoutumée, – il y a des choses que j’ai envie de vous dire depuis bien longtemps, – je voudrais le faire maintenant, avant que je devienne plus faible. »
Saint-Clair frissonna ; Éva s’assit sur ses genoux et appuya sa tête contre son sein. « Il ne sert à rien, papa, de vous le cacher davantage. Le temps approche où il faudra que je vous quitte. – Je m’en vais pour ne plus revenir jamais. » Éva étouffa un sanglot.
« Allons, allons, ma chère petite, mon Éva ; et, tout tremblant, Saint-Clair prenait une voix animée et joyeuse ; voilà que tu te décourages et que tu te fais nerveuse. Il ne faut pas se laisser aller à de sombres pensées. – Tiens, regarde la jolie figurine que j’ai achetée pour toi !
– Non, papa, dit Éva ; et elle repoussa doucement la statuette. Ne vous abusez pas ; – il n’y a pas de mieux, je le sais très-bien, – Je m’en vais, je le sens. – Je ne suis pas nerveuse, je ne suis point découragée ; – si ce n’était vous, cher papa, – si ce n’étaient tous ceux que j’aime, je serais parfaitement heureuse. – Je l’ai désiré, – je soupire après !
– Eh quoi, cher trésor, qui peut rendre ton pauvre petit cœur si triste ? N’as-tu pas tout ce que tu souhaites, tout ce qui peut te contenter ?
– J’aime mieux être au ciel ; seulement, pour l’amour de mes amis, je voudrais encore vivre ; mais il y a tant de choses ici qui me font peine, et qui me semblent terribles, que j’ai envie de m’en aller tout de suite là-haut. Ce n’est pas que je n’aie bien du chagrin de vous quitter ; – oh ! c’est là ce qui me fend le cœur !
– Mais, qu’y a-t-il qui puisse t’affliger ? Que vois-tu de si terrible, mon enfant ?
– Oh ! des choses qui se font tous les jours, sans cesse ! Je suis triste pour nos pauvres domestiques ; ils m’aiment tant ! ils sont tous si attentifs, si bons pour moi. – Je voudrais, papa, qu’ils fussent tous libres .
– Comment, Éva ! petite fillette, ne les trouves-tu donc pas heureux comme ils sont ?
– Mais, papa, si quelque malheur vous arrivait, que deviendraient-ils ? Il y a si peu d’hommes comme vous, papa ! Oncle Alfred, ce n’est pas la même chose ; maman non plus ; et songez aux maîtres de la pauvre vieille Prue ! tant d’horribles choses qui se font, qui se peuvent faire ! et l’enfant frissonna.
– Chère bien-aimée, tu es trop compatissante, trop sensitive ! je suis désolé de t’avoir laissé entendre de pareilles histoires !
– Oh ! papa, c’est là ce qui me chagrine. Vous me voulez si heureuse ? vous n’endurez pas que j’aie la plus légère peine ; – que je souffre de quoi que ce soit ; – vous ne voudriez pas même me laisser entendre une histoire triste, quand d’autres pauvres créatures n’ont que peines et chagrins toute leur vie ; – ah ! papa, cela semble si égoïste ! Eh ! ne dois-je pas le savoir pour y compatir ? J’y songe tant ! cela m’entre tout au fond du
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