La case de L'oncle Tom
chercher mon vieux docteur Posey. J’ai une maladie de cœur, je le sens.
– Mais pourquoi le docteur Posey ? Le médecin qui soigne Éva me semble fort habile.
– Oh ! je ne me fierais pas à lui en pareil cas. C’est grave : je ne puis me faire illusion ! Je n’ai fait qu’y songer ces deux ou trois dernières nuits. Ce sont de telles angoisses, des sensations si extraordinaires !
– Oh ! Marie, vous broyez du noir ! Je n’ai pas foi à cette maladie de cœur !
– Je le savais d’avance, je m’y attendais, je vous assure ! Si Éva tousse le moins du monde, si elle a le plus léger bobo, vous êtes tout alarmes ; mais moi, que vous importe !
– Si vous tenez absolument à avoir une maladie de cœur, soit ; je ne veux que ce qui peut vous être agréable, dit Saint-Clair ; seulement, prévenez-moi.
– Je souhaite qu’un jour vous ne vous affligiez pas lorsqu’il sera trop tard ! mais, que vous le croyiez ou non, mes inquiétudes pour Éva, les fatigues au-dessus de mes forces, prises pour la chère enfant, ont développé ce que depuis longtemps j’avais tout lieu de craindre. »
Il eût été difficile de préciser les fatigues dont se plaignait Marie. Ce fut la réflexion que se permit secrètement Saint-Clair, et, comme un être impitoyable qu’il était, il continua de fumer son cigare jusqu’au retour de la voiture, d’où Éva et miss Ophélia descendirent.
Celle-ci, selon sa coutume invariable, avant de prononcer une parole, marcha droit à sa chambre pour y serrer son châle et son chapeau.
Éva, appelée par son père, courut s’asseoir sur ses genoux, et lui conter tout ce qu’elle avait vu et entendu.
Bientôt, de vives exclamations et une grêle de reproches, tombant on ne savait sur qui, firent explosion dans la chambre de miss Ophélia, qui donnait sur la galerie.
« Quelle nouvelle diablerie nous aura brassé ce lutin de Topsy ? demanda Saint-Clair. Elle est l’origine de cette tempête, je le parierais ! »
La minute d’après miss Ophélia parut, traînant la coupable, et dans un violent accès d’indignation :
« Arrivez ici, s’écria-t-elle, venez ; je veux le dire à votre maître.
– Qu’y a-t-il, cousine ?
– Il y a, que je ne puis être plus longtemps harcelée par cette enfant ; c’est passé toute constance : la chair et le sang n’y sauraient tenir. Je l’enferme là, je lui donne un hymne à apprendre par cœur, et de quoi s’avise-t-elle ? de m’épier quand je cache ma clef, d’ouvrir mon chiffonnier, d’y prendre ma plus belle garniture de bonnet, et de la couper en morceaux pour en faire des robes de poupées ! Je n’ai, de ma vie, rien vu de pareil !
– Je vous l’avais assez dit, cousine, reprit Marie, de pareilles créatures ne se gouvernent pas avec des paroles. Si j’étais libre d’agir, – et Marie lança sur Saint-Clair un regard de reproche, – j’enverrais cette enfant à la calabouse [38] pour qu’on la fouette d’importance, et jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus se tenir sur ses jambes.
– Je n’en doute pas, reprit Saint-Clair ; parlez-moi des femmes et de leurs chaînes de fleurs ! Je n’en ai pas connu une douzaine, je crois, qui ne fussent prêtes à éreinter, à tuer à demi, cheval ou domestique, pour peu qu’on les laissât faire ! Un homme n’est rien à côté d’elles !
– Vos sornettes sentimentales, Saint-Clair, sont hors de saison tout à fait. Notre cousine est une femme sensée, et maintenant elle voit assez que j’étais dans le vrai. »
Miss Ophélia n’avait que juste la dose d’indignation qui appartient à la maîtresse de maison accomplie, et que justifiaient de reste les nombreuses malices, les gaspillages sans fin de Topsy ; mais l’énergie de Marie dépassait de trop loin sa colère, et toute son effervescence tomba.
« Pour le monde entier, je ne voudrais pas que l’enfant fût traitée de la sorte, dit-elle ; mais le fait est, Augustin, que je suis à bout de patience et d’expédients. J’ai enseigné, remontré, parlé, grondé jusqu’à m’enrouer ; je l’ai fouettée, je l’ai punie, et je suis juste aussi avancée que le premier jour !
– Ici, singe, venez-là ! » dit Saint-Clair appelant l’enfant près de lui.
Topsy s’avança. Une certaine terreur, mêlée à sa drôle d’expression habituelle, faisait briller et clignoter ses yeux perçants et ronds.
« Qui t’a poussée à te conduire
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