La case de L'oncle Tom
paix.
La force factice qui, pendant quelques semaines, l’avait soutenue, déclinait rapidement. On entendait de moins en moins son pas léger sous la véranda : et on la trouvait de plus en plus souvent couchée sur une chaise longue, devant la fenêtre ouverte, suivant du profond regard de ses grands yeux le mouvement alternatif des eaux du lac.
Vers le milieu de l’après-midi, comme elle était ainsi penchée, – sa Bible entr’ouverte, et ses frêles petits doigts oubliés entre les feuillets, – elle entendit tout à coup la voix de sa mère montée à un aigre diapason.
« Allons, petite effrontée ! – quel nouveau tour de ton métier as-tu fait là ? arraches-tu les fleurs, à présent ? Et un soufflet bien appliqué résonna presque aux oreilles d’Éva.
– Seigneur, maîtresse ! – ça être tout pour miss Éva, répondit la voix de Topsy.
– Éva ! beau prétexte ! – que veux-tu qu’elle fasse de tes fleurs, petite négresse bonne à rien ? – Voyons ! te sauveras-tu ! »
À la minute Éva s’élança de sa couche, et parut sous la véranda.
« Oh ! maman, ne la renvoyez pas ! – J’aime ses fleurs, – donnez-les-moi. J’en ai tant d’envie !
– Éva ! – mais votre chambre en est déjà toute pleine ?
– Je n’en saurais avoir trop. Topsy, apporte-les-moi donc. »
La petite négresse, demeurée à l’écart, tête basse et toute renfrognée, se rapprocha, et présenta ses fleurs, non plus de son air mutin, hardi, insouciant, mais avec une timidité, une hésitation, un respect, tout à fait nouveaux chez elle.
« Quel beau bouquet ! » dit Éva, le considérant.
L’épithète d’original eût été plus juste ; – c’était un brillant géranium écarlate, avec un seul camélia blanc entouré de ses feuilles lustrées. Le même goût bizarre, qui s’était plu au contraste si tranché des couleurs, avait scrupuleusement étudié la disposition de chacune des feuilles.
Topsy parut charmée lorsque Éva lui dit : « Sais-tu que tu arranges fort joliment les fleurs ? – Tiens, voilà ce vase qui est vide. – Je serais bien aise d’avoir tous les jours, pour le garnir, un bouquet de ta façon, Topsy.
– Quelle idée baroque ! reprit Marie ; à propos de quoi, et pourquoi faire ?
– Qu’importe, maman, vous aimez autant que Topsy fasse cela qu’autre chose, – n’est-ce pas ?
– Oh ! tout ce qu’il vous plaira, ma chère. – Topsy, tu entends ta jeune maîtresse ? Songe à être exacte ! »
Topsy fit une courte révérence, baissa les yeux, et comme elle se détournait pour s’en aller, Éva vit une larme rouler sur sa joue noire.
« Voyez-vous, maman, j’étais sûre que la pauvre Topsy avait envie de faire quelque chose pour moi, dit à demi voix Éva à sa mère.
– Quelle enfance ! le fait est tout uniment qu’elle se plait au mal. On lui a défendu de toucher aux fleurs, – alors elle les arrache. – Voilà ce qu’il en est ; mais, si c’est votre fantaisie qu’elle dépouille les parterres, à la bonne heure.
– Je crois, maman, que Topsy n’est plus la même ; elle est en train de devenir bonne.
– Elle aura du chemin à faire pour y parvenir, dit Marie avec un ricanement dédaigneux.
– Mais vous savez, maman, que la pauvre Topsy a trouvé constamment tout contre elle.
– Pas depuis qu’elle est à la maison, assurément. Elle a été assez prêchée, catéchisée, grondée ; chacun s’en est mêlé, et y a fait tout ce qui se pouvait faire ; – eh bien, elle est tout aussi laide, et le sera toujours. On ne tirera jamais rien de bon de cette créature-là !
– C’est si différent, chère maman, d’être élevé comme je l’ai été, entouré d’amis et de tout ce qui me pouvait rendre heureuse et bonne, ou bien d’être abandonné comme cette pauvre Topsy, si malheureuse avant d’entrer chez nous !
– Cela se peut, reprit en bâillant Marie. – Quelle chaleur ! il n’y a pas moyen d’y tenir !
– Ne croyez-vous pas, maman, que Topsy pourrait, tout aussi bien que nous, devenir un ange, si elle était chrétienne ?
– Topsy, un ange ! quelle idée biscornue ! Il n’y a que vous, Éva, pour avoir de ces imaginations de l’autre Monde. – Pour ce que j’en sais, cependant c’est possible.
– Maman, est-ce que Dieu n’est pas son père, à elle, tout comme à nous ? Jésus n’est-il pas aussi son Sauveur ?
– Je ne dis pas non. Je
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