La case de L'oncle Tom
courbée avec amour sur elle, semblait l’ange brillant penché sur le pécheur qu’il vient racheter.
« Pauvre chère Topsy, dit Éva, ne sais-tu pas que Jésus nous aime tous de même ? toi tout autant que moi ? Il t’aime comme je t’aime ; mais beaucoup, beaucoup plus, parce qu’il est bien plus grand, bien meilleur. Il t’aidera à devenir bonne, et tu peux aller au ciel à la fin, pour être un ange à jamais, tout comme si tu étais blanche. – Penses-y un peu ! Songe, Topsy, il ne tient qu’à toi d’être un de ces esprits bienheureux et brillants que chante l’oncle Tom !
– Oh ! chère miss Éva ! chère ! chère ! moi vouloir, moi tâcher être bonne. – Je m’en souciais pas avant, pas du tout. »
Saint-Clair laissa retomber le rideau.
« La douce enfant me rappelle ma mère, dit-il à miss Ophélia ; ce qu’elle me disait est vrai. Si nous voulons rendre la vue à l’aveugle, nous devons, comme Jésus, l’appeler à nous et lui imposer les mains.
– J’ai toujours eu une sorte de dégoût des nègres, c’est un fait, dit miss Ophélia ; je n’aimais pas que l’enfant me touchât ; mais je n’allais pas imaginer qu’elle s’en aperçût.
– Fiez-vous aux enfants pour ces découvertes-là, répondit Saint-Clair. Impossible de leur dissimuler l’impression qu’ils produisent. Les efforts les plus bienveillants, les services, les bienfaits, rien ne saurait exciter en eux une ombre de gratitude, tant que cette répugnance existe. Cela peut sembler étrange, mais cela est.
– Qu’y faire ? dit miss Ophélia ; ils me sont si désagréables, – cette petite surtout ; je ne puis changer mes impressions, au bout du compte !
– Éva en a de différentes.
– Oh ! Éva, c’est autre chose ; elle est si aimante ! – Et ce n’est qu’être chrétienne, après tout, ajouta miss Ophélia d’un ton réfléchi. – Je voudrais de bon cœur lui ressembler, et je crois qu’elle m’a donné là une salutaire leçon.
– Peut-être bien, fit observer Saint-Clair. Ce ne serait pas la première fois qu’un petit enfant serait envoyé pour instruire un vieux disciple »
CHAPITRE XXVII
Mort.
Plaignez, plaignez la fleur nouvelle
Qui meurt fanée en son bouton,
Et le petit de l’hirondelle
Tombé du nid, pauvre avorton !
Mais ne pleurez pas sur l’enfance
Qui, dans un soupir vers le ciel,
Exhale, avec son innocence,
Son âme au pied de l’Éternel.
La chambre d’Éva, spacieuse comme toutes celles de la maison, donnant aussi sur la véranda, entre l’appartement de ses parents et celui de miss Ophélia, communiquait aux deux, par des portes opposées. Saint-Clair, en sa tendre affection, s’était plu à orner cette pièce ; son goût exquis avait su la mettre en harmonie avec la charmante petite créature qui l’habitait. La fine natte qui recouvrait le plancher, faite à Paris d’après les dessins qu’il avait composés lui-même, offrait au centre un ravissant bouquet de roses épanouies entouré d’une guirlande de boutons et de feuilles. Des rideaux de mousseline rose et blanche se drapaient aux fenêtres ; le lit, les chaises, les sofas, étaient de bambou travaillé, tourné en formes gracieuses de fantaisie. Au chevet du lit, sur une console d’albâtre, un ange, aux ailes reployées, tenait la couronne de myrthe d’où descendait, en plis vaporeux, la gaze rose lamée d’argent, qui remplaçait la moustiquaire indispensable dans ce climat. De légères statues soutenaient des rideaux semblables, au-dessus de chacun des sofas garnis de coussins de damas rose ; sur l’élégante table du milieu, toujours de bambou, un vase de Paros, en forme de lis entouré de ses blancs boutons, et constamment garni des plus belles fleurs, s’élevait au-dessus des livres, des bijoux d’Éva, et de la charmante écritoire d’albâtre ; don de son père, lorsqu’elle avait commencé à prendre goût à l’étude. La tablette de marbre de la cheminée était ornée d’une charmante statuette de Jésus appelant à lui les enfants. De chaque côté, deux vases de marbre s’emplissaient tous les matins des magnifiques bouquets que Tom apportait, avec tant d’orgueil et de plaisir. Deux ou trois tableaux de maîtres, représentant des enfants dans des attitudes gracieuses, paraient les lambris ; enfin, en s’ouvrant chaque jour, les yeux d’Éva ne rencontraient que d’heureuses images de beauté, d’innocence et de
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