La case de L'oncle Tom
message, envoyé par miss Ophélia, amena en peu de minutes tous les serviteurs dans la chambre.
Éva était retombée sur ses oreillers, ses cheveux étaient épars autour de sa figure, les vives couleurs de ses joues formaient un pénible contraste avec la blancheur mate de son teint et la délicate maigreur de ses traits purs ; ses yeux encore agrandis, où respirait toute son âme, étaient fixés avec ferveur sur chacun.
Tous furent saisis : cette figure idéale, éthérée ; ces longues boucles de cheveux coupés, rangées près d’elle ; la face détournée du père, les sanglots de Marie, c’était plus qu’il n’en fallait pour émouvoir vivement une race impressionnable et tendre.
À mesure que les serviteurs entraient, ils se regardaient l’un l’autre, soupiraient, secouaient la tête ; parmi eux régnait un silence de mort.
Éva se souleva, attacha tour à tour sur chacun son regard pénétrant. Tous paraissaient tristes, alarmés ; plusieurs femmes se cachaient le visage dans leurs tabliers.
« Je vous ai demandés, chers amis, dit Éva, parce que je vous aime. Je vous aime tous , et ce que j’ai à vous dire, je veux que vous vous le rappeliez toujours… Je vous quitte ; – je m’en vais. Encore quelques semaines, et vous ne me verrez plus. »
Une explosion de gémissements, de lamentations, dans lesquels se perdait la faible voix de l’enfant, l’interrompit. Elle attendit une minute, puis elle reprit avec effort, d’un ton qui réprima leurs sanglots :
« Si vous m’aimez, il ne faut pas m’interrompre. Écoutez-moi ! – C’est de vos âmes que j’ai à vous parler… Plusieurs n’y songent pas, j’ai peur ; vous ne pensez qu’à ce monde. Je vous en prie, rappelez-vous qu’il y en a un plus beau, où est Jésus ! – c’est là que je vais, et vous y pouvez venir aussi : il est à vous autant qu’à moi. Mais, pour y venir, il ne faut pas mener une vie oisive, insouciante ; il faut être chrétien. Songez-y ! Chacun de vous peut devenir un ange, un ange à tout jamais… Si vous avez bien envie d’être chrétien, Jésus vous y aidera. Priez-le ; lisez… »
L’enfant s’arrêta, les regarda d’un air attendri, et dit avec tristesse :
« Oh, chers ! vous ne pouvez pas lire. Pauvres âmes ! » Elle cacha son visage dans son oreiller, et sanglota. Les sanglots étouffés de ceux qui l’entouraient à genoux lui répondirent, et la rappelèrent à eux.
« Qu’importe ! reprit-elle, et sur sa figure radieuse un sourire brilla au travers de ses larmes. J’ai prié pour vous. Si vous ne pouvez pas lire, Jésus est là, qui vous entend. Faites de votre mieux, tous !… Priez !… demandez-lui de vous aider. Quand vous le pourrez, faites vous lire la Bible ; et, je l’espère, je vous reverrai tous là-haut, dans le ciel !
– Amen ! » murmurèrent Tom, Mamie et quelques-uns des vieux serviteurs qui appartenaient à l’Église méthodiste. Les plus jeunes, les plus étourdis, dominés par leur émotion, sanglotaient, la tête courbée sur leurs genoux.
« Je sais, reprit Éva, que vous m’aimez tous.
– Oui, – oh oui ! chère miss Éva ! Le Seigneur la bénisse ! » D’involontaires exclamations partaient de tous côtés.
« Je le sais, je le crois : il n’y a pas un de vous qui n’ait été bon pour moi ; et je veux vous donner quelque chose que vous ne pourrez voir sans vous souvenir d’Éva ! – C’est une boucle de mes cheveux ; toutes les fois que vous la regarderez, pensez que je vous aimais, que je suis allée au ciel la première, et que je vous y attends tous ! »
La scène qui suivit ne se peut décrire : ils sanglotaient, ils pleuraient, ils se pressaient autour de la chère petite créature, pour recevoir de ses mains cette dernière marque de son amour. À genoux, prosternés, ils gémissaient, baisaient le bord de ses vêtements, et les plus âgés lui adressaient de tendres et caressantes paroles, mêlées de prières et de bénédictions, à la façon de leur race affectionnée et impressionnable.
Miss Ophélia, redoutant l’émotion pour sa petite malade, faisait signe à chacun de ceux qui avaient reçu le don précieux de sortir de l’appartement.
À la fin il ne resta plus que Tom et Mamie.
« Tenez, oncle Tom, dit Éva, en voilà une belle pour vous. Oh ! je suis si contente, oncle Tom, de penser que je vous reverrai là-haut ! – car je suis sûre que vous y viendrez,
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