La case de L'oncle Tom
nous, parce qu’il nous laisse être injuriés et frappés ; mais voyez ce qui est advenu de son propre Fils, – le béni Seigneur de gloire ! N’a-t-il pas toujours été pauvre ? et aucun de nous est-il descendu aussi bas que lui ? Le Seigneur nous a pas oubliés, j’en suis comme sûr ! Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi, l’Écriture le dit : mais si nous le renions, lui aussi nous reniera. N’ont-ils pas tous souffert – le Seigneur et les siens ? Le livre ne dit-il pas qu’ils ont été lapidés et sciés par le milieu du corps ; qu’ils allaient par les chemins, vêtus de peaux de chèvres, persécutés, humiliés, torturés. Les souffrances, ce sont pas des raisons pour faire penser que le Seigneur détourne de nous sa face ; mais juste le contraire, pourvu que nous nous tenions ferme à lui, et ne cédions pas au péché.
– Mais pourquoi nous place-t-il là où nous ne pouvons nous empêcher de faillir ? dit la femme.
– Je pense que nous pouvons toujours nous en empêcher.
– Vous verrez ! reprit Cassy ; que ferez-vous demain ? Ils vous tortureront de nouveau. Je les connais ; j’ai assisté à tous leurs actes ; je ne puis supporter la pensée de ce qu’ils vous feront subir – ils vous feront céder à la fin !
– Seigneur Jésus, s’écria Tom, je remets mon âme entre vos mains ! vous la préserverez, ô Seigneur ! – Ne me laissez pas faillir !
– J’ai déjà entendu tous ces cris, toutes ces prières, dit Cassy, et cependant tous ont été rompus et subjugués. Voilà Emmeline qui essaye de résister ; vous aussi, vous tâchez ; – à quoi bon ? il vous faudra céder ou mourir pied à pied, pouce à pouce.
– Eh bien ! je mourrai ! dit Tom. Qu’ils fassent durer le mal tant qu’ils voudront, ils ne m’empêcheront pas de mourir à la fin ! – Et, après, ils ne peuvent plus rien ! je suis délivré ! je suis libre ! Je sais que le Seigneur m’aidera ; il me conduira à travers la fournaise ! »
La femme ne répondit rien ; elle s’assit, ses yeux noirs attentivement fixés à terre.
« Peut-être est-ce la voie ! murmura-t-elle ; mais pour ceux qui ont cédé, il n’y a plus d’espérance. – plus ! Nous vivons dans l’impureté et la fange jusqu’à ce que nous ayons dégoût de nous-mêmes ! – Nous avons soif de mourir, et nous n’osons nous tuer ! – Plus d’espoir, plus d’espoir ! – Cette enfant, – elle a juste l’âge que j’avais.
« Regardez-moi, dit-elle, parlant rapidement, regardez, et voyez ce que je suis ! Eh bien ! j’étais née dans l’opulence. Mes plus lointains souvenirs me reportent à la splendide demeure que j’habitais enfant. – J’étais alors vêtue avec luxe, le monde et les amis de la maison me comblaient de louanges. Les fenêtres du salon ouvraient sur un jardin, et c’était là que je jouais à cache-cache sous les orangers, avec mes frères et sœurs. On me mit au couvent ; j’y appris la musique, le français, la broderie, que sais-je ? À quatorze ans j’en sortis pour assister aux funérailles de mon père. Il mourut subitement, et quand on voulut vendre ses propriétés, on trouva à peine de quoi payer les dettes. Les créanciers firent l’inventaire ; j’y fus portée. Ma mère était esclave, et mon père avait toujours eu l’intention de m’affranchir ; mais il ne l’avait pas fait, et je fus comprise dans la liste. Bien que je susse qui j’étais, je n’y avais jamais beaucoup réfléchi. Qui s’attend à voir mourir un homme plein de vigueur et de santé ? Mon père se portait à merveille quatre heures avant sa mort. Il fut une des premières victimes du choléra à la Nouvelle-Orléans. Le lendemain des funérailles, sa femme prit ses enfants et partit avec eux pour la plantation de son père à elle. Je pensais qu’on me traitait d’une façon étrange ; mais je ne comprenais pas pourquoi. Un jeune avocat chargé de mettre ordre aux affaires venait tous les jours, parcourait la maison, et me parlait avec égards. Un après-diner, il amena un jeune homme avec lui que je trouvai plus beau que tous les jeunes gens que j’eusse encore vus. De ma vie je n’oublierai cette soirée ; je me promenai dans les jardins avec lui. J’étais abandonnée, désolée, et il fut si bon, si tendre pour moi ! Il me dit m’avoir vue avant mon entrée au couvent, et m’avoir toujours aimée depuis ; il promit d’être mon
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