La case de L'oncle Tom
dénicher ? demanda Sambo à qui Legris venait de donner une carabine.
– Tu peux tirer sur Cassy, si tu veux : il est grand temps qu’elle aille au diable, à qui elle appartient. Mais pour la fille, non. – Maintenant, garçons, alertes et prestes ! cinq dollars à celui qui les empoigne, et un verre de rhum à chacun de vous autres ! »
À la lueur des torches flamboyantes et aux hurlements sauvages des bêtes et des hommes, toute la bande se dirigea vers le marais : les domestiques suivaient à distance ; et la maison était complètement déserte quand Emmeline et Cassy s’y glissèrent à pas furtifs par la porte de derrière. Les cris, les rugissements des traqueurs emplissaient l’air. Des fenêtres de la salle, les fugitives pouvaient voir la troupe avec ses flambeaux se disperser sur les bords du marais.
« Voyez ! dit Emmeline, la chasse commence ! Voyez danser les lumières au loin ! Écoutez !… les chiens ! n’entendez-vous pas ? Si nous étions là, notre chance ne vaudrait pas un picayune ! Oh ! par pitié ! cachons-nous vite !
– Il n’y a point lieu à se presser, dit Cassy froidement. Les voilà tous lancés, – la chasse sera le divertissement du soir ! Nous monterons tout à l’heure. En attendant – elle prit résolument une clef dans la poche du surtout que Legris avait ôté en hâte, – il nous faut de quoi payer notre passage. »
Elle ouvrit le bureau, et en tira un rouleau de billets de banque, qu’elle compta rapidement.
« Oh ! ne faisons pas cela, dit Emmeline.
– Pourquoi ? reprit Cassy. Qu’aimez-vous mieux ? que nous mourions de faim dans les marais, ou que nous puissions gagner un État libre ? L’argent peut tout, enfant. Elle mit les billets dans son sein.
– Mais c’est voler, dit Emmeline d’une voix basse et triste.
– Voler ! répéta Cassy avec un rire méprisant. Qu’ils nous prêchent, eux, qui volent le corps et l’âme ! Chacun de ces billets a été volé, – volé à de pauvres créatures affamées, qui suent sang et eau, et qu’il livre au diable à la fin pour son profit. Qu’il parle de vol ! Mais, allons ; autant vaut gagner notre grenier : j’y ai fait provision de chandelles et de livres qui aideront à passer le temps. Tenez-vous pour assurée qu’ils ne viendront pas nous chercher là . S’ils le tentent… eh bien, je ferai mon rôle de revenant. »
Quand Emmeline atteignit le grenier, elle y trouva une immense caisse vide, couchée sur le côté, de manière à ce que l’ouverture fit face au mur, ou plutôt à la charpente du toit. Cassy alluma une petite lampe, et se glissant sous les solives, elles s’établirent dans ce réduit. Il était garni de deux matelas et d’oreillers : tout à côté, une boîte était remplie de chandelles, de vivres et de tous les vêtements nécessaires au voyage, rassemblés en paquets étonnamment petits et compacts.
« Là, dit Cassy, lorsqu’elle eut suspendu la lampe à un crochet, qu’elle avait fixé tout exprès au bord de la caisse ; voici notre maison pour le présent, vous plaît-elle ?
– Êtes-vous bien sûre qu’ils ne viendront pas fouiller le grenier ?
– Je voudrais voir Simon Legris essayer. Non, non ; il préfère s’en tenir à distance. Quant aux domestiques, il n’y en a pas un qui n’aimât mieux être fusillé que de montrer son nez ici. »
Un peu rassurée, Emmeline s’arrangea sur son oreiller.
« Que vouliez-vous dire, Cassy, demanda-t-elle naïvement, quand vous avez parlé de me tuer ?
– Je voulais vous empêcher de vous trouver mal, et j’y ai réussi. Je vous préviens, Emmeline, qu’il vous faut tenir bon, ne pas vous évanouir, quoi qu’il arrive. C’est parfaitement inutile ; si je n’y eusse coupé court, vous seriez maintenant entre les mains de ce misérable. »
Emmeline frissonna.
Toutes deux gardèrent quelque temps le silence. Cassy se mit à lire un livre français, Emmeline, accablée de fatigue, s’endormit. Elle fut réveillée par de violentes clameurs au dehors, le galop des chevaux et l’aboiement des chiens. Elle se redressa en sursaut, et poussa un faible cri.
« Ce n’est que la chasse qui revient, dit froidement Cassy. Ne craignez pas. Regardez par ce trou. Ne les voyez-vous pas tous là, en bas ? – Simon y renonce pour cette nuit.
Voyez comme son cheval s’est couvert de boue, à force de se vautrer dans le marais ! Les chiens aussi ont l’oreille
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