La case de L'oncle Tom
basse. Ah ! mon bon maître, vous aurez à recommencer la course plus d’une fois : – le gibier n’est pas là.
– Oh ! de grâce, pas un mot ! dit Emmeline. S’ils vous entendaient ?
– S’ils entendent quelque chose, ils se tiendront d’autant plus à l’écart, reprit Cassy. Il n’y a pas de danger : nous pouvons faire tout le bruit qu’il nous plaira ; l’effet n’en sera que meilleur. »
Enfin, à minuit, le silence se rétablit dans la maison : Legris se coucha maudissant sa mauvaise chance, et jurant de se venger le lendemain.
CHAPITRE XLI
Le martyr.
Ne crois pas que le ciel oublie
Le juste, qui, privé des plus vulgaires dons,
Doit épuiser les maux de son obscure vie,
Et, repoussé du pied, endurer les affronts.
Dédaigné de l’homme, qu’il meure !
Au ciel s’ouvre une autre demeure,
Là, chacun de ses pleurs compté
Prépara la joie immortelle
Où son Dieu, son sauveur l’appelle
Pour l’ineffable éternité.
BRYANT
La plus longue route a son terme ; – la plus obscure nuit voit naître une aurore. Les heures, dans leur inexorable fuite, entraînent sans cesse le jour du méchant vers d’éternelles ténèbres, la nuit du juste vers un jour sans limites. Nous avons accompagné les pas de notre humble ami le long de la vallée de l’esclavage, traversant avec lui, d’abord les champs fleuris de l’aisance et de l’affection ; puis, témoins de sa déchirante séparation d’avec tout ce qui est cher à l’homme, nous nous sommes arrêtés avec lui dans cette oasis dorée du soleil, où des mains généreuses cachaient ses chaînes sous les fleurs. Enfin, nous l’avons suivi jusqu’où s’éteignait le dernier rayon des espérances terrestres, et alors nous avons vu le firmament du monde invisible se consteller pour lui d’étoiles d’un impérissable éclat.
Maintenant, l’astre du matin vient de poindre au sommet des montagnes, et les brises qui soufflent du ciel annoncent que les portes du jour s’entr’ouvrent.
La fuite de Cassy et d’Emmeline poussa le violent caractère de Legris au dernier degré d’irritation, et, comme il était aisé de le prévoir, toute sa rage tomba sur la tête sans défense de Tom. Lorsque, en toute hâte, le maître annonçait à ses nègres la nouvelle de l’évasion, l’éclair de joie qui jaillit des yeux de Tom, le mouvement instinctif de ses mains levées, ne lui échappèrent pas. Il vit que le noir ne se joignait point à la poursuite, et songea d’abord à l’y contraindre. Mais il avait l’expérience de sa résistance opiniâtre dès qu’il s’agissait de prendre part à un acte d’inhumanité, et il était trop pressé pour risquer le conflit.
Tom resta donc en arrière avec le petit nombre de ceux qui de lui apprenaient à prier, et tous adressèrent en commun leurs vœux au ciel pour le salut des fugitives.
Quand Legris revint tout penaud, la haine, qui fermentait dans son sein contre son humble esclave, prit tout à coup des proportions formidables. – Cet homme ne le bravait-il pas, – ferme, inflexible, indomptable, et cela du jour qu’il l’avait acheté ? N’y avait-il pas dans ce nègre je ne sais quel esprit silencieux qui dardait sur lui, Legris, comme une flamme infernale ?
« Je le hais ! dit-il cette nuit-là, s’agitant dans son insomnie ; je le hais ! Et n’est-il pas MA PROPRIÉTÉ ? Ne suis-je pas maître d’user de lui comme il me plaît ? Qui pourrait m’en empêcher ? » Serrant le poing, il le brandit dans le vide, comme pour écraser quelque adversaire invisible.
Tom, néanmoins, était un esclave de prix : serviteur fidèle, laborieux ; et, tout en le haïssant davantage en vertu de ses mérites, Legris hésitait.
Le matin suivant, il prit la résolution de se taire encore ; il allait réunir, des plantations voisines, quelques hommes armés, quelques couples de chiens, entourer le marais, faire une chasse à fond : s’il réussissait, eh bien, à la bonne heure ; s’il échouait ? alors il faisait comparaître Tom devant lui. – Il grinça des dents, ses veines se gonflèrent, – Tom céderait. Sinon ! – Il y eut un mot horrible, murmuré au dedans de lui, mot que son âme approuva.
L’ intérêt du maître, dites-vous, est pour l’esclave une suffisante garantie ! Quoi ! dans la frénésie de la passion, l’homme, pour parvenir à ses fins, vend jusqu’à son âme, et l’on veut qu’il ménage le corps de son
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