La case de L'oncle Tom
la menthe , qu’on lui servit, et qu’il regarda d’un air de complaisance rusée, en homme qui a mis le doigt sur la chose ; puis il sirota doucement le breuvage.
« Hé ! vivat ! s’écria Haley, qui m’aurait prédit cette bonne fortune ? Holà, Loker, comment vous va ? et il tendit la main au gros homme.
– Au diable ! fut la réponse polie. Quel vent de grêle vous souffle ici, Haley ? »
L’homme rat, qui portait le nom de Marks, et qui buvottait à petits traits dans son coin, s’interrompit, et fixa sur le nouveau venu un œil futé comme celui du chat qui épie la feuille sèche, ou tout autre petit objet mobile, et va s’élancer dessus.
« Je dis, Tom, que c’est une chance ! Je suis dans un diable de pétrin, et je ne vois que vous qui puissiez m’en tirer.
– Peste ! – probable ! gronda son aimable interlocuteur. Celui à qui vous faites bonne mine peut bien jurer que vous en voulez tirer pied ou aile. Allons, voyons où la mouche vous pique ?
– Qui avez-vous là ? – un ami ? demanda Haley avec quelque hésitation, en regardant Marks ; un associé peut-être ?
– Oui-dà ! Ici, Marks ! voilà mon vieux partenaire de Natchez.
– Enchanté de faire votre connaissance ; et Marks tendit sa maigre patte de corbeau : M. Haley, je pense ?
– Lui-même, monsieur, dit Haley, et qui fêtera notre rencontre avec un verre ou deux de quelque chose de chaud. Holà ? vieux Raccoon ! cria-t-il à l’homme du comptoir, qu’on nous serve l’eau chaude, le sucre, les cigares et du rhum ; du fameux, entends-tu ! à discrétion, et faisons bombance. »
Regardez ! les chandelles brillent, le feu se réveille, et les trois dignes compagnons sont attablés autour des accessoires obligés de toute réunion de leurs pareils.
Haley se plongea sans retard dans le pathétique récit de ses tribulations. Bouche close, Loker l’écoutait avec une attention renfrognée ; Marks, enfoncé dans la composition d’un nouveau breuvage à sa guise, s’en détournait pour fourrer son nez et son menton aigus presque dans la face du narrateur, dont il scrutait chaque parole ; la conclusion parut le réjouir infiniment, et ses épaules et ses côtes s’ébranlèrent du rire intérieur qui crispait ses lèvres minces.
« Ainsi, vous voilà la tête dans le sac ! enfoncé ! hi ! hi ! hi ! le tour est bon ! – Ces bambins, reprit Haley d’un ton lamentable, sont la perte du commerce !
– Si nous pouvions mettre la main sur une race de femmes qui ne se souciât pas des petits, je dis que ce serait la plus grande découverte du siècle, – et Marks appuya sa plaisanterie d’un froid ricanement.
– Juste, dit Haley. Ça me passe ! ces petits ne leur donnent qu’un tas de fatigue et de tourments ; il semble qu’elles devraient être enchantées de s’en voir débarrassées ; eh bien, non ! plus un petit est tracassant et bon à rien, plus elles sont endiablées après !
– Eh bien ! monsieur Haley, reprit Marks, passez-moi un peu l’eau chaude. – Oui, monsieur, c’est comme vous le dites ; nous en sommes tous là. Figurez-vous qu’une fois, je faisais le commerce alors, j’achète une fille robuste, bien faite, une jolie drôlesse, ma foi, et fort capable, – n’avait-elle pas un enfant maladif, rachitique, crochu, que sais-je ? Je lâchai l’embryon à un homme qui prit la chance de l’élever, l’ayant eu pour une bagatelle ; – je n’allais pas rêver, moi, que la fille se monterait la tête pour ça, vous sentez ! – mais, Seigneur Dieu ! je voudrais que vous l’eussiez vue ! Quel vacarme ! Vraiment, elle semblait priser d’autant plus le petit qu’il était maladif, grognon, un vrai fléau après elle ! – et c’est que c’était pour tout de bon ! Elle pleura, elle se lamenta, elle se jeta par terre On aurait dit qu’elle avait tout perdu. C’est une drôle de chose tout de même que les caprices des femmes ! c’est à s’y perdre.
– Encore mon histoire, reprit Haley. Pas plus tard que l’été dernier, sur la rivière Rouge, j’achète une fille et son enfant, un marmot de bonne mine, avec des yeux aussi brillants que les vôtres. – Hé bien, n’était-il pas aveugle ? mais, tout à fait aveugle ! – Motus, bien entendu, et je vous le troque joliment contre un baril d’eau-de-vie. Mais, quand il fut question de l’ôter à la mère ; oh, c’était une vraie tigresse ! Par malheur ça se
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