La chambre des officiers
d'expression à son travail et que l'après-guerre sera une période de profond bouleversement pour l'art pictural.
Lorsqu'il me quitte à la nuit tombante, sans jamais m'avoir vraiment parlé
de lui, il promet de revenir le dimanche suivant.
La dernière infirmière passée, les lumières se sont éteintes les unes après les autres. J'ai rendu mon repas, mon estomac est las de travailler seul, sans aucun soutien de mes dents. Mes glandes salivaires s'emballent en produisant d'énormes quantités de mousse. Je ne sens aucune amélioration sur le chemin de la déchéance. J'attends qu'un nourrisson soit arraché à
l'amour de ses parents pour qu'on me ponte la m‚choire supérieure. Celle dont j'attendais un peu de vie m'écrit pour me clouer sur une porte comme une chouette blanche et nous
sommes sur le point de perdre la guerre; Bonnard me le cache par amitié.
Je me lève à t‚tons pour rejoindre le placard o˘ sont rangées mes affaires militaires, en attente de consignation dès que ma réforme définitive sera prononcée. Mon pistolet est bien là, dans son étui. Erreur administrative: il aurait d˚ être consigné. Je sens sa lourde crosse. Les balles sont dans la ceinture. J'en prends trois, que j'enfonce avec beaucoup de précautions dans le barillet. Trois balles pour trois bonnes raisons de mourir.
J'appuie le canon sous mon oreille, le seul endroit indolore de ma tête.
C'est une étrange sensation que de se sentir à sa propre merci. Un moment privilégié pour réaliser à quel point l'existence se déroule dans la peur de la fin.
Ce n'est ni l'image de ma mère, ni celle de ma sueur ou de mon grand-père qui m'empêchent d'appuyer sur la détente; c'est simplement l'idée que je suis en train de terminer un travail commencé par les Allemands.
Je range finalement mon pistolet dans sa sacoche, là o˘ je l'avais pris. Je referme le placard avec grand bruit, en espérant que mes compagnons vont enfin se réveiller.
Le service occupe maintenant cinq chambres. Au premier étage, deux chambres pour les simples soldats. Au deuxième étage, une chambre pour les officiers subalternes blessés de la face. Au troisième, une chambre pour les officiers subalternes défigurés et, au fond du couloir, une chambre plus petite pour les officiers supérieurs. Cette chambre ne compte qu'un seul pensionnaire, un colonel.
Le premier de mes deux compagnons à sortir de l'inconscience est celui qui tient dans sa main refermée un petit crucifix d'argent. C'est un capi taine de cavalerie tombé lors d'une offensive matinale dans l'Argonne. Henri de Penanster, c'est le nom inscrit sur la fiche accrochée aux barreaux de son lit. S˚rement un Breton. La moitié de son menton a été emportée par un éclat d'obus qui lui a déchiré la carotide au passage. L'oeil crevé, l'orbite défoncée, c'est un fer du cheval qui le suivait et qui l'a heurté
en retombant tué par les balles de l'ennemi, alors que Penanster gisait déjà, couché par sa première blessure. Penanster aurait d˚ se vider comme un lapin, si la boue n'était pas venue endiguer l'hémorragie de sa carotide ouverte. Encore conscient et se croyant condamné, il a supplié une petite infirmière de l'avant de lui procurer une croix. Elle a décroché celle qui était à son cou; il l'a prise dans sa main qu'il n'a plus desserrée, même dans ses moments de profonde inconscience.
Il n'avait pas encore repris ses esprits qu'on lui a installé un ouvre-bouche à vis pour lutter contre la constriction des m‚choires. Chaque jour, une infirmière vient mesurer les progrès de l'ouverture buccale, qu'elle note soigneusement sur une feuille de papier suspendue au pied de son lit.
Pierre Weil, le pilote br˚lé, est recouvert de matières grasses sur le visage et sur les mains. Lorsqu'il a été touché, son moteur s'est enflammé, lui embrasant les mains et le visage autour des lunettes qui protégeaient ses yeux. Comme le sort n'en avait pas encore terminé avec lui, l'atterrissage en catastrophe s'est achevé contre un arbre qui l'a projeté
en dehors de l'habitacle, le sauvant de l'incendie en lui fracassant le visage.
Il n'y a finalement que les morts qui puissent nous envier. Et encore, j'en doute.
Clémence est en filigrane dans toutes mes pensées. Le sentiment de trahison qu'a fait mitre sa lettre ne m'a détourné d'elle que pendant quelques jours. Je sais que je la reverrai, cela d˚t-il prendre des mois, des années. Je la regarderai
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