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La chambre des officiers

La chambre des officiers

Titel: La chambre des officiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Dugain
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chairs qui l'accueillent sont trop faibles, trop meurtries, trop carbonisées. Weil devra se contenter d'un nez de carton, un demibec d'oiseau, qui servira de modèle à toute une gamme de nez en plastique, jusqu'à ce qu'on lui fixe une prothèse définitive, un nez sorti d'une poupée d'enfant, d'une matière plus proche par sa couleur et sa souplesse de la peau humaine, mais dont l'aspect lisse tranchera sur ce visage définitivement tuméfié dont chaque morceau a sa teinte propre, entre sang et charbon.
    Parmi ceux qui nous ont rejoints au début de cet hiver 14, deux sont morts sans jamais avoir repris connaissance. Tous les deux avaient été atteints au cr‚ne.
    A la fin du mois de janvier 15, un tout jeune lieutenant d'infanterie a été
    transporté dans notre chambre. Il s'était fracassé la m‚choire en se tirant un coup de pistolet sous le menton. La balle a bien réussi la partie la plus spectaculaire de son travail en labourant une tranchée verticale sur la face avant de ressortir par le nez, mais le cerveau n'a pas été atteint.
    On l'a placé à gauche du lit de Penanster. La rumeur parle de suicide devant l'ennemi, ce que paraît confirmer la trajectoire de la balle. Dans mon esprit, comme dans celui de mes camarades, il s'agit d'un acte de trahison.
    Pour Penanster, qui est catholique, la chose est d'autant moins pardonnable. Il demande par écrit qu'on déménage le lieutenant dans une autre chambre. Mais la place manque. Les parties de cartes reprennent en lui tournant le dos.
    Je reçois deux lettres par semaine de ma famille, et je leur en écris une.
    Il existe une sorte de convention entre nous, qui vise à ne jamais parler de l'essentiel et à se diluer dans l'accessoire. Des lettres qu'on pourrait aussi bien écrire, enfant, d'une colonie de vacances, o˘ l'on évite soigneusement de rapporter les émotions, bonnes ou mauvaises, nées de la vie en groupe, pour n'évoquer que le dormir, le boire et le manger. Toutes mes lettres respectent cet ordre dans la narration, et ont pour seul objectif de maintenir ma famille à distance, de l'endormir.
    Ma mère me dresse régulièrement la liste des enfants de la commune dont on est sans nouvelles: Lacassagne, Vigeac, Louradour, Despiesse, et les deux fils Castelbujas.
    quand nous étions encore des enfants, la mère des Castelbujas s'inquiétait de tout pour ses deux fils: des sabots de chevaux, des ser pents dans les pierres, des escalades dans les
    arbres, chacun de nos gestes était porteur de drame. Et chaque fois que nous raccompagnions les deux frères chez eux, Bonnard et moi, elle nous attendait sur le pas de la porte, les yeux larmoyants, et elle avait cette phrase qui nous faisait rire d'avance
    - Mes pauvres enfants, comme je me suis fait du souci!

    Je ne m'en fais pas trop pour eux. Ce sont des débrouillards, ils finiront bien par retrouver leur chemin.
    J'ai appris par Bonnard à qui j'avais demandé de se renseigner que Chabrol est mort trois semaines après le début des combats. Pro bablement lorsque sa gourde s'est trouvée vide. Les lettres de ma sueur Pauline sont plus longues et je les sens plus inquiètes. Je sais que c'est elle qui a envoyé
    les Chaumontel, nos cousins de Nogent-sur-Marne, en reconnaissance à
    l'hôpital pour me voir. Je les ai fait éconduire en prétextant des soins.
    Je m'attends à la voir surgir un jour ou l'autre. J'en viens presque à
    remercier les Allemands de bombarder Paris et d'en tenir éloignés tous ceux qui voudrait me visiter. Mon grand-père a simplement ajouté un petit mot au bas d'une lettre de Pauline: " C'est bien mon garçon, tu fais honneur à ton pays et à ta famille. " Ma greffe osseuse ne prend pas. Le chirurgien m'assure qu'il n'a pas dit son dernier mot. Je ne suis pas près d'en prononcer un. L'infirmière qui a éconduit Weil passe près de mon lit. Je l'arrête et lui montre mon ardoise. Elle patiente pendant que j'écris
    - Voulez-vous voir quelque chose que vous ne verrez chez aucun autre homme?
    Comme de l'autre main je tiens mon drap très serré à la taille, je vois la couleur pourpre lui monter au visage. Puis je la fixe droit dans les yeux.
    Et je lui tire la langue par le nez. Même Penanster en sourit de son seul oeil valide. La petite infirmière détale.
    Pour la première fois, j'ai fait le tour de l'étage par le couloir circulaire. Je suis parti seul, j'ai croisé quelques regards familiers, habitués, d'infirmières. D'autres n'ont pas pu soutenir de

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