La chambre du diable
jurons gouailleurs et moqueries. Moleskin
ouvrit le petit coffre installé à la poupe, en sortit un linge et se mit à
grignoter un morceau de porc salé tout en lampant des rasades à la gourde d’eau
qu’il avait remplie de bière. Il se demandait ce que le dominicain avait à
faire sur une galère de guerre vénitienne, mais à vrai dire, conclut-il avec un
haussement d’épaules, Athelstan était un homme étrange. Quand il ne s’occupait
pas des vauriens de St Erconwald, il s’affairait à la suite de Sir John,
l’Écrabouilleur de chevaux, Sa Grandeur messire le coroner de la ville. Moleskin
plissa les yeux. Il fallait qu’il s’en souvienne. Il aimait taquiner le
magistrat et, la prochaine fois que Sir John louerait ses services, il lui
ferait payer double place à cause de son poids.
Il termina son lard et l’impatience grandit en lui car
la houle du fleuve commençait à se creuser. Puis il remarqua de l’agitation à
bord de la galère et aperçut la bure noir et blanc du dominicain. Il fit
tourner son bateau qu’il approcha, usant de ses rames pour repousser ses rivaux.
Il se trouva enfin sous l’échelle de corde. Athelstan descendit non sans mal, soupira
de soulagement et prit place à la poupe.
– De quoi s’agissait-il, mon père ? interrogea
Moleskin en s’éloignant.
Athelstan eut un sourire satisfait.
– Sais-tu, Moleskin, dit-il en se rencognant sur
son siège, qu’il y a certains plaisirs dans la vie qui font vraiment du bien ?
Le marinier fit la grimace.
– Oh, pas ceux-là, précisa le dominicain en riant.
Je crois que je viens de piéger un assassin sanguinaire ! Moleskin, tu es
mon champion parmi les bateliers. La prochaine halte sera le couvent de Syon, chez
les bonnes sœurs !
Moleskin se pencha sur ses avirons. Des nonnes, des
tueurs, des Vénitiens, réfléchit-il. À quoi, mon Dieu, ce petit dominicain
était-il mêlé ? Tout ça, c’était la faute de Sir John ! Personne, le
long du fleuve, n’ignorait que là où passait monseigneur l’Écrabouilleur de
chevaux, les ennuis fleurissaient toujours !
Ils remontèrent la Tamise et le marinier rangea sa
barque le long des marches du quai.
– Désirez-vous que je vous attende ?
– Non. Tu seras heureux d’apprendre qu’ensuite j’irai
voir Sir John.
Athelstan offrit quelques pièces mais Moleskin les
refusa d’un signe de tête.
– C’est gratuit, pour vous. Souvenez-vous
seulement de moi et de ma barque pendant la messe. Après tout, si vous pouvez
bénir un tas de tueurs de rats, des chats et des furets…
Il leva des yeux pleins d’espoir vers son passager.
– Ça me semble être une très bonne idée, Moleskin,
répondit Athelstan. Nous attendrons la fête d’un marin, ou un dimanche où l’Évangile
mentionne Jésus péchant avec ses apôtres, et je viendrai alors te bénir, toi et
ton bateau. Peut-être pourrions-nous lui donner un nom ?
Le sourire du marinier s’élargit.
– Que dirais-tu de St Erconwald ?
Le sourire du marinier disparut.
– Ou, ajouta Athelstan en hâte, La Rose de
Southwark ?
– Ça me plaît, mon père. J’ai connu une gente
jouvencelle prénommée Rosamund. Le seul ennui, c’est que la moitié des
bateliers le long de la Tamise la connaissaient aussi !
– Nous sommes donc d’accord.
Athelstan fit un signe de croix dans l’air et monta l’escalier.
Une jeune novice l’introduisit chez Lady Monica. L’abbesse
se leva, majestueuse comme une reine, bien qu’elle eût les joues un peu rouges.
– Ah, frère Athelstan ! Où est frère Norbert ?
Et Sir John ? s’enquit-elle en jetant des regards autour d’elle.
– Ils ne sont pas ici, madame. Je suis seulement
venu quérir Lady Angelica.
– Plaît-il ?
Lady Monica joignit les mains et se redressa de toute
sa taille.
– Mon bon frère, vous ne pouvez entrer dans un
couvent et exiger que je vous livre une de mes protégées !
– Lady Monica, je suis dominicain. Notre sainte mère
l’Eglise et mon ordre m’ont chargé de dire la messe, de prêcher l’Evangile et
de veiller sur les brebis du Christ. Je suis le curé de la paroisse de St
Erconwald , à Southwark, où, Dieu sait, j’ai davantage de tâches importantes
que je n’en puis remplir. Je suis aussi le secrétaire de Sir John Cranston, coroner
de cette ville et ami personnel de feu le glorieux Édouard. C’est l’un des plus
fidèles conseillers de monseigneur de Gand et un ami du jeune roi. Il me
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