La chambre du diable
d’eau bénite puis
en les bénissant à coups d’encensoir. Le chien, qui, Dieu merci, s’était tenu
tranquille pendant son sermon, jugea alors bon de recommencer à chanter. Athelstan
remercia le ciel que Sir John fût absent.
À la fin, tous les tueurs de rats, ainsi que les
paroissiens, s’étaient regroupés sous le porche de l’église et sur le parvis. Étals
et éventaires avaient été montés pour vendre de la bière et des gâteaux. Benedicta
avait préparé des tourtes, la femme de Watkin, apporté des fruits. Tout le
monde s’accorda pour reconnaître que c’était une réussite et Huddle, ravi que
la guilde des tueurs de rats ait eu recours à ses services, annonça à voix
haute qu’il dessinerait bientôt une fresque sur le mur pour honorer la nouvelle
confrérie.
Boso, un clerc borgne qui avait le nez fendu et une
oreille en moins, et qu’Athelstan soupçonnait d’être un prêtre défroqué, installa
une petite table et déroula les articles de la guilde des tueurs de rats. Chaque
membre signa de son nom ou traça sa marque : un chat, un rat, un piège ou
une cage. Ranulf tira avec solennité de sa bourse le nouveau sceau de la
corporation et Boso fit couler de la cire chaude sur le parchemin. Ranulf le
scella, et le dominicain y apposa l’insigne de la paroisse. On sortit d’autres
copies et on procéda de même. Athelstan, plutôt surpris par toute l’affaire, accepta
volontiers qu’on en mette une dans une boîte qu’on garderait dans les archives
paroissiales, dans l’une des pièces du clocher. Il tenta de croiser le regard
de Benedicta, mais elle se contenta de sourire, occupée à s’assurer que les
réjouissances se déroulaient sans incident. Watkin, Pike, Hig le porcher, Mugwort
le carillonneur et quelques ouailles complotaient en chuchotant dans un coin. Athelstan
allait les rejoindre quand il s’entendit appeler. Sir Maurice, qui avait
présenté ses excuses et n’avait pas assisté à la cérémonie, se tenait sur le
seuil de l’église, un morceau de vélin à la main.
– Athelstan, c’est urgent ! Ça vient de
Blackfriars !
Le dominicain se hâta de prendre le message et entra
dans le presbytère, frais et calme après l’activité frénétique de l’église. Il
examina le sceau, le rompit et lut en vitesse ce que Simeon l’archiviste avait
noté. Athelstan sourit.
– Enfin ! s’exclama-t-il.
– Bonnes nouvelles, mon frère ?
– Bonnes nouvelles, Sir Maurice.
– Allons-nous rendre visite aux nonnes de Syon ?
s’enquit le jouvenceau, plein d’espoir.
– Je ne crois pas.
Le prêtre, se penchant, saisit le poignet du jeune
chevalier.
– Pourquoi devrions-nous nous y rendre, Sir
Maurice ?
– Eh bien, pour voir Lady Angelica.
– Je me fais beaucoup de souci pour vous, frère
Norbert, le taquina Athelstan. J’ai parfois l’impression que vous ne pouvez
penser qu’à Angelica !
– Je l’aime. Je me couche en pensant à elle. Je
rêve d’elle. Je crois voir son visage parmi la foule. N’avez-vous jamais été
amoureux, mon frère ?
Sir Maurice se mordit la lèvre.
– Pardonnez-moi !
Le dominicain s’assit sur une sellette. Le jouvenceau
le fixa.
– Je… je ne voulais pas vous embarrasser, frère.
Athelstan ferma les yeux et pensa à Benedicta.
– Est-ce difficile ? demanda Sir Maurice, intrigué
par ce prêtre au teint mat qui paraissait avoir l’esprit si vif et contrôlait
si bien ses émotions.
– Si c’est
difficile ? Quand on appartient à l’Église, Sir Maurice, ce n’est point l’acte
de chair qui vous manque, bien que les exigences de la nature se rappellent à
vous.
Le dominicain eut un petit rire.
– Mais elles se dissipent. Ce qui est pénible, c’est
cette terrible solitude, ce sentiment qu’on observe le monde qui passe devant
soi et qu’on n’en fait pas partie. Parfois, mais parfois seulement, on
rencontre une femme ! Dieu merci, c’est rare, mais on peut le lire dans
ses yeux ou sur son visage, à la façon dont elle vous regarde. Le cœur bal plus
vite, le sang court un peu plus rapidement dans la cervelle, la bouche devient
sèche.
– Que faites-vous alors ?
– On s’agenouille, Sir Maurice, et on prie pour
ne jamais tomber amoureux. Pour ne jamais être tenté, parce que, si on l’est, on
a de bonnes chances de succomber.
– Enviez-vous des hommes comme moi ?
Athelstan sourit à son interlocuteur.
– Vous êtes un homme honnête, Sir Maurice,
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