La chambre du diable
nocturne, était assis sur
la table et lapait avec délicatesse une écuelle de lait. II levait parfois la
tête, son unique œil valide fixé avec curiosité sur son étrange et excentrique
maître. Du bout de sa plume, le prêtre lui chatouilla le nez. Le matou ne
broncha pas. Il cligna des yeux et se détourna pour scruter le coin de la pièce.
– Je sais ce que tu as dans la tête, dit le
prêtre qui avait aperçu une souris filant devant la cheminée. Mais ce n’est qu’une
petite souris. Bonaventure. Une souris des champs. Elle est sans doute entrée
par hasard et ressortira de même.
Bonaventure se mit à ronronner très fort.
– Muette comme une ombre, continua Athelstan. Vive
et le poil brillant. Que penses-tu de Thaddée ?
Le chat, bien entendu, était allé examiner à la fois
le bouc et Godbless. Il s’était frotté contre la jambe de l’homme et avait
flairé l’animal. Athelstan, témoin de la scène, avait compris que le seigneur
des venelles avait jugé Thaddée indigne de son attention.
Godbless, de toute évidence, s’était très vite
impatronisé. Benedicta l’avait généreusement doté d’une paillasse, d’un
oreiller, de deux couvertures, d’un plat et d’un gobelet d’étain. Pendant que
Thaddée broutait, Godbless se comportait en maître des lieux. Athelstan lui
avait donné une écuelle du ragoût que Benedicta avait apporté ainsi que du pain
enveloppé d’un linge et un pichet de vin coupé d’eau, cadeau de Joscelyn, de la
taverne du Cheval pie.
Athelstan leva la tête et prêta l’oreille aux bruits
de la nuit. Il lui arrivait d’aller se promener dans les rues. Il s’arrêtait
pour parler aux mendiants et aux filous, aux catins et aux gueuses, aux épaves
de ce sordide quartier de la ville. Parfois, quand son esprit débordait d’idées,
il montait en haut du clocher de l’église et examinait le ciel. Il se sentait alors
coupable de s’abandonner à ce plaisir, mais, plus il se perdait dans la
contemplation des étoiles, plus il prenait conscience de la puissance de Dieu
et de la pure beauté de sa création. Si seulement il pouvait en découvrir
davantage ! S’il pouvait expérimenter les théories ! Les planètes
chantaient-elles tout en tournoyant ? Pourquoi certaines étoiles
étaient-elles plus scintillantes que d’autres ? Qu’est-ce qui les
maintenait à leur place ? Elles se déplaçaient mais, comme la lune, gardaient
une certaine trajectoire. Qu’est-ce qui les empêchait de tomber sur terre ?
Et les météores, surtout les plus étincelants qui brûlaient le firmament de
leur queue ardente, gouvernaient-ils les affaires humaines ? Athelstan
prit son gobet et but une gorgée. Il faudrait qu’il aborde le sujet avec le
prieur Anselm. L’Eglise condamnait l’astrologie mais la naissance du Christ n’avait-elle
pas été annoncée par une nouvelle étoile ? Et quand le Sauveur était mort,
les ténèbres n’avaient-elles pas envahi les cieux ? Saint Thomas d’Aquin, le
célèbre écrivain, avait-il raison ? La création était-elle le reflet de
Dieu et n’avait-elle rien à voir avec la besogne des hommes ?
Athelstan baissa les yeux sur son parchemin. « Du
sublime au ridicule », commenta-t-il in petto. Il observa l’en-tête,
« Château d’Hawkmere », et les questions qu’il avait notées.
Item : Cinq Français, captifs dans cet endroit
isolé, attendaient leur rançon. L’un d’entre eux était-il un traître ? Avait-il
révélé à la Couronne anglaise les mouvements du St Sulpice et du St
Denis ? Si oui, pourquoi un prisonnier n’avait-il pas été privilégié
par rapport aux autres ? On aurait pu lui fournir une chambre plus
agréable à la Tour, par exemple. Aurait-ce été dangereux pour lui ? Cela
aurait-il tout révélé, ce qui aurait rendu impossible son retour en France ?
Item : Comment Serriem était-il mort ? Empoisonné,
sans conteste. Mais comment, s’il avait mangé et bu les mêmes choses que ses
compagnons ? Ou l’avait-on tenté par un aliment, une friandise qui, pour
un prisonnier, s’était révélée irrésistible ? Mais cela aurait réveillé sa
méfiance. Qui plus est, dans cette atmosphère de suspicion, aucun captif n’aurait
voulu qu’on remarque qu’il était favorisé.
Item : Qui était le meurtrier ? Un de ses
compagnons ? Mais où se serait-il procuré le poison ? Et comment l’aurait-il
administré sans susciter des soupçons ?
Item : Sir Walter
Weitere Kostenlose Bücher